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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/99

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était si nécessaire au milieu de cette crise terrible vient d’être appelé dans un monde meilleur. L’abbé Eustache est mort !

— Dieu veuille avoir son âme ! s’écria Madeleine Græme, et puisse le ciel nous prendre en pitié, nous qui traînons péniblement notre existence sur cette terre de sang ! Sa perte porte sans doute un coup funeste à notre entreprise, car il n’a laissé personne qui ait sa vieille expérience, son zèle ardent, sa haute sagesse et son courage indompté ! il est tombé, tenant en main l’étendard de l’Église ; mais Dieu suscitera quelqu’un pour relever la sainte bannière. Qui donc le chapitre a-t-il élu pour le remplacer ?

— On dit qu’aucun des frères n’ose accepter sa place. Les hérétiques ont juré qu’ils ne permettraient pas de nouvelle élection ; et ils ont même menacé d’un châtiment terrible quiconque s’occuperait de la création d’un nouvel abbé de Sainte-Marie : Conjuraverunt inter se principes, dicentes : Projiciamus laqueos ejus[1].

Quousque, Domine[2] ? répartit Madeleine ; ce serait là un puissant obstacle à notre projet ; mais je crois fermement que Dieu ne laissera point cette place vacante. Ou est ta fille Catherine ?

— Au salon, répondit la religieuse. » Puis elle regarda Roland Græme, et marmotta quelques mots à l’oreille de son amie.

« Ne crains rien, dit Madeleine ; ce que nous faisons est légitime et nécessaire : ne crains rien de lui, je voudrais qu’il fût aussi affermi dans la foi, qui seule nous sauve, qu’il est exempt de toute pensée, de toute action, de toute parole condamnable ; quelque blâmable que soit la doctrine des hérétiques, il faut avouer qu’ils donnent à la jeunesse des principes de la morale la plus sévère.

— Ce n’est que laver l’extérieur d’une coupe, ou blanchir un tombeau, répondit l’amie ; mais il verra Catherine, ma sœur, puisque vous pensez que cela est sans inconvénients. Suivez-nous, jeune homme, » ajouta-t-elle en sortant de l’appartement avec Madeleine. Roland Græme s’empressa d’obéir à ces paroles, les premières que lui eût adressées la matrone.

Tandis qu’elles passaient lentement à travers des corridors tournants et des appartements vides, le jeune page eut le loisir de faire quelques réflexions sur sa situation, réflexions désagréables pour un caractère aussi ardent que le sien. Il semblait qu’il dût suivre alors l’impulsion de deux tutrices, au lieu d’une, de deux

  1. Les princes ont conspiré entre eux en disant : Anéantissons ses filets. a. m.
  2. Jusqu’à quand, Seigneur ? a. m.