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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/105

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ment comme l’on représente, sur les médailles sydirennes, Juda[1] assis sous son palmier. Je me sentis tout à coup pénétrée de cette sorte de crainte respectueuse dont mon guide me semblait lui-même frappé par la présence de cet être mystérieux et solitaire, et je ne songeai point à m’avancer pour la voir de plus près, avant d’avoir dirigé sur Donald un regard interrogateur, auquel il répondit par ces paroles, prononcées à voix basse.

« C’est une femme qui a été effroyablement méchante, milady !

— Extravagante[2], dites-vous ? » repris-je, ne l’ayant entendu qu’imparfaitement ; « alors elle peut être dangereuse ?

— Non, elle n’est pas extravagante, répondit Donald. Si cela était, elle serait beaucoup plus heureuse. Et pourtant, en songeant à ce qu’elle a fait et à ce qu’elle a fait faire plutôt que de céder gros comme un cheveu de sa perversité, il lui est difficile peut-être de ne pas perdre la raison. Mais, à présent, elle n’est ni folle ni méchante, et cependant, milady, je crois que vous feriez mieux de ne pas vous approcher davantage. » Alors il me raconta précipitamment l’histoire que je vais vous dire avec un peu plus de détails. J’écoutai ce récit avec un mélange d’horreur et de compassion qui, d’un côté, me portait à m’approcher de cette malheureuse femme pour lui adresser quelques paroles de consolation ou plutôt de pitié, et de l’autre me forçait en même temps à reculer d’effroi.

Tel était en effet le sentiment qu’elle inspirait parmi les montagnards des environs : ils regardaient Elspat Mac Tavish ou la femme de l’arbre, comme ils l’appelaient, du même œil que les Grecs considéraient les grands coupables poursuivis par les Furies, et dont l’esprit était en proie aux remords vengeurs. Ils regardaient ces êtres infortunés, tel qu’Oreste et Œdipe, bien moins comme les auteurs volontaires de leurs forfaits que comme les instruments passifs par lesquels les terribles décrets de la destinée avaient dû s’accomplir ; et la terreur inspirée par de tels coupables n’était pas sans un mélange de respect.

J’appris aussi de Donald Mac Leish, que l’on redoutait toujours quelque malheur pour ceux qui avaient la témérité de s’approcher de trop près d’un être voué à un tel degré de misère, et de troubler son imposante solitude. Suivant la croyance générale,

  1. C’est-à-dire la nation juive. a. m.
  2. L’Anglais emploie les mots bad, méchante, et mad, folle, entre lesquels il est aisé de se méprendre. a. m.