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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/20

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LES CHRONIQUES DE LA CANONGATE.

naires qui reportaient leurs idées de perfection, à l’égard de l’état de la société, au temps des habits galonnés et des triples manchettes, et, quelques-uns, à l’époque des exploits de 1745, et des coups donnés et du sang répandu[1]. Aussi est-ce avec prudence que j’exerce le droit de censure acquis à tout homme arrivé, ou sur le point d’arriver, à cette mystérieuse période de la vie où les nombres de sept et de neuf, multipliés l’un par l’autre, forment ce que les sages ont appelé la grande climatérique[2].

Tout ce qu’il est nécessaire de dire sur la première partie de ma vie, c’est que les pans de ma robe balayèrent le parquet de la chambre du Parlement[3] pendant le nombre ordinaire d’années que, dans mon temps, les jeunes lairds avaient coutume de consacrer à l’étude du droit. Je ne gagnais point d’honoraires ; mais je passais mon temps à rire, à faire rire les autres, à boire du bordeaux chez Bayle, chez Walker, à l’enseigne de la Fortune[4], et à manger des huîtres à Covenant-Close[5].

Devenu mon maître, je fis voler ma robe à la tête de l’huissier de la barre, et je commençai à mener une joyeuse vie pour mon propre compte. Je me lançai dans la société la plus dispendieuse qui existât alors à Édimbourg. Pendant tout le temps que je passais chez moi, dans le comté de Lanark, je faisais des dépenses qui égalaient celles des personnes les plus riches : j’avais mes chevaux de chasse, ma meute, mes coqs de combat et les gens qui accompagnent tout cela. Je puis me pardonner plus aisément ces folies que d’autres d’un genre encore plus blâmable, et qui étaient si peu cachées, que ma pauvre mère se crut obligée de quitter ma maison, et de se retirer dans une petite habitation fort peu commode, qui faisait partie de son douaire, et qu’elle occupa jusqu’à sa mort. Je pense cependant que je ne fus pas le seul à blâmer dans cette séparation, et que ma mère elle-même se reprocha plus tard d’avoir agi avec trop de précipitation. Grace au ciel, l’adversité qui vint m’enlever les moyens de poursuivre ma vie dissipée me rendit à la tendresse de cette bonne mère, qui seule m’était restée de toute ma famille.

  1. Allusion à la tentative du prince Charles-Édouard, petit fils de Jacques II, tentative qui a fourni le sujet de Waverley. a. m.
  2. Période de soixante-trois à soixante-quatre ans, la plus dangereuse, dit-on, de la vie humaine. a. m.
  3. Il s’agit du local où siégeait autrefois le parlement d’Écosse, et où se tient à présent la Cour de justice. a. m.
  4. Trois auberges d’Édimbourg. a. m.
  5. Impasse où existe une fameuse taverne, à Édimbourg. a. m.