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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/23

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CHAPITRE I.

s’il le traversait, l’être qui portait cette condamnation voyait dans sa sagesse, qu’à dater de ce moment, le désir de transgresser la défense deviendrait irrésistible pour cet homme, et qu’inévitablement il attirerait sur sa tête le châtiment déjà mérité par une malédiction proférée contre l’Oint du Seigneur. Pour moi, je croyais voir tout l’Élysée ouvert de l’autre côté du ruisseau, et j’enviais le sort de tous les petits polissons qui, pour arrêter les eaux du courant, formaient des espèces de digues avec de la boue, et avaient le droit, pendant cette opération, de se tenir de tel ou tel côté du sale bourbier, selon leur bon plaisir. Je poussais même l’enfantillage jusqu’à oser quelquefois faire une courte excursion au delà de mes limites ordinaires ; et ne fût-elle que de quelques pas, j’éprouvais toute la joie d’un écolier qui, après avoir pénétré dans un verger, prend la fuite, enchanté de son triomphe, palpitant de joie et de terreur, et flottant entre le plaisir d’avoir réussi dans son entreprise et la peur d’être attrapé ou découvert.

Je me suis quelquefois demandé ce que j’aurais fait dans le cas d’une réclusion réelle, puisque je ne pouvais supporter sans impatience une simple restriction qui n’est, comparativement, qu’une pure bagatelle ; mais jamais je n’ai pu répondre à cette question d’une manière satisfaisante. J’ai détesté toute ma vie ces expédients perfides appelés mezzo termine[1], et il est possible qu’avec cette disposition d’esprit j’eusse pu supporter une privation absolue de liberté plus patiemment que les restrictions moins sévères auxquelles m’assujettissait ma résidence dans le Sanctuaire. Si pourtant les sensations que j’éprouvais alors avaient dû augmenter d’intensité en proportion de la différence qui existe entre un cachot et la situation où je me trouvais, je me serais certainement pendu, ou je serais mort de chagrin : il ne pouvait y avoir d’autre alternative.

Mes nombreux amis me négligèrent et m’oublièrent, comme d’usage, dans l’adversité : mais il m’en restait un véritable, et cet ami était un avocat qui connaissait parfaitement les lois de son pays, et qui, les reportant à l’esprit de justice et d’équité, véritable fondement de toute législation, avait, par ses efforts mâles et bienveillants, empêché plusieurs fois la ruse et l’égoïsme de triompher de l’innocence et de la faiblesse. Il se chargea de ma

  1. Terme moyen. a. m.