Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 2, 1838.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

répondit Richard… je n’aurais pas imaginé qu’il fût si clairvoyant. Pour dire la vérité, sans la belle Menie Grey, je me trouverais semblable à un cheval de meunier, faisant au pas ma tournée journalière dans cet ennuyeux pays, tandis que d’autres courent gaiement le monde pour voir comment on les accueillera. Par exemple, vous même, où allez-vous ?

— Un cousin de ma mère commande un navire au service de la compagnie des Indes. J’ai l’intention de partir avec lui, comme aide-chirurgien. Si je prends goût au service de mer, j’y resterai ; sinon, j’entrerai dans quelque autre partie… » En parlant ainsi, Hartley soupira.

« Tous partez pour les Indes ! s’écria Richard ; heureux coquin !… pour les Indes ! Vous pouvez bien supporter avec grandeur d’âme tous les désappointements qui vous sont arrivés sur ce côté du globe. Oh, Delhi ! oh, Golconde ! vos noms ont le pouvoir de chasser de puérils souvenirs !… Les Indes ! où l’or s’obtient par le fer, où un homme brave n’élève jamais si haut son désir de renommée et de richesses, qu’il ne puisse le réaliser, s’il compte la fortune au nombre de ses amis ! Est-il possible que le hardi aventurier votre parent ait bien voulu songer à vous, et que vous soyez encore chagrin à l’idée qu’une fille aux yeux bleus a regardé favorablement un drôle moins heureux que vous-même ? Est-ce possible !

— Moins heureux ! répliqua Hartley. Pouvez-vous, amant favorisé de Menie Grey, parler sur ce ton, même en plaisantant ?

— Voyons, Adam, reprit Richard, ne vous fâchez pas contre moi, parce que, dans mon succès même, j’envisage ma bonne fortune avec un peu moins de ravissement que vous, à qui elle passe devant le nez. Votre philosophie devrait vous l’apprendre : l’objet que nous atteignons, ou sommes sûrs d’atteindre, perd, par le fait même de cette certitude peut-être, un peu de la valeur extravagante et idéale que nous lui attachons tant qu’il est l’objet d’espérances et de craintes. Mais, malgré tout, je ne puis vivre sans ma douce Menie. Je l’épouserais demain de tout mon cœur, sans penser une minute aux lourdes chaînes qu’un mariage contracté dès un âge si tendre attacherait à nos talons. Mais passer deux nouvelles années de plus dans cet infernal désert, trottant pour attraper des couronnes et des demi-couronnes, lorsque des gens plus sots que moi vous gagnent des lacs et des crores de roupies… C’est une honteuse chute, Adam ! conseillez-moi, mon