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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/126

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vous inquiétez pas de lui plus qu’il ne s’inquiète de vous. Mieux vaut laisser dormir les chiens qui dorment. Nous ferons fort bien de ne pas parler du laird, jeune homme. Mais dites-moi plutôt quelle espèce d’espiègle vous êtes pour être si disposé à devenir compagnon d’un vieux joueur de violon ambulant ? Meggie soutient que vous êtes un homme comme il faut, mais un shilling fait toute la différence que met Meggie entre un seigneur et un vilain, et vos couronnes vous rendraient prince du sang à ses yeux. Pour moi, je suis à même de savoir que vous portez de beaux habits et que vous avez la main douce ; mais c’est aussi bien un signe de paresse que de noblesse. »

Je lui déclinai mon nom, en ajoutant, comme je l’avais déjà appris à M. Josué Geddes, que j’étais étudiant en droit, ennuyé de mes études, et voyageant pour ma santé et mon plaisir.

« Et êtes-vous dans l’habitude de vous accrocher à tous les vagabonds que vous rencontrez sur la grande route, ou que vous découvrez se couchant sans lumière au fond d’un trou dans le sable ?

— Oh ! non ; seulement avec d’honnêtes gens comme vous-même, Willie.

— D’honnêtes gens comme moi ! — Comment savez-vous si je suis honnête, ou qui je suis ? — Sachez que je puis être le diable lui-même ; car il a le pouvoir de devenir déguisé comme un ange de clarté, et en outre il excelle à jouer du violon. — Il exécuta une sonate à Corelli, comme vous savez. »

Il y avait quelque chose de bizarre dans ce discours et dans le ton dont il était débité. Il semblait que mon compagnon n’avait pas toujours sa tête, ou qu’il voulait essayer s’il pourrait m’effrayer. Je souris pourtant à l’extravagance de son langage ; et, pour toute réponse, je lui demandai s’il était assez fou pour croire que le diable pût jouer une si ridicule mascarade.

« Vous n’en savez rien ; — non rien, » reprit le vieillard en branlant la tête, secouant sa barbe et fronçant les sourcils. « Je pourrais vous conter une histoire à ce sujet. »

Je me rappelai alors que sa femme m’avait prévenu qu’il était aussi bon conteur qu’habile musicien ; et, comme vous savez que j’aime les histoires superstitieuses, je le suppliai de me donner un échantillon de son talent tandis que nous marchions.

« Il est bien vrai, dit l’aveugle, que, quand je suis las de manier l’archet ou de chanter des ballades, j’échappe aux importunités