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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/22

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les parties de l’Europe. Or les jeunes filles suisses avaient depuis long-temps découvert que des colifichets et des pierreries étaient choses belles à voir, et, quoique sans espérance de pouvoir jamais posséder elles-mêmes de tels ornements, elles éprouvaient un désir naturel d’examiner et de manier les riches parures des marchands, et quelque déplaisir de ce qu’on les empêchât de le faire. On avait aussi remarqué que, si les étrangers étaient suffisamment courtois dans leurs manières, ils ne déployaient pas ce zèle ardent de plaire que montraient les colporteurs et les marchands de Lombardie ou de Savoie, par qui les habitants des montagnes étaient quelquefois visités, et qui avaient depuis peu d’années fait des rondes plus fréquentes, attendu que le butin de leurs victoires avait répandu parmi les Suisses une certaine richesse, et leur avait créé une foule de nouveaux besoins. Ces négociants ambulants étaient polis et pleins d’attentions comme leur état l’exigeait ; mais les derniers marchands semblaient être des hommes que leur commerce n’intéressait guère, ou qui du moins se souciaient peu du profit qu’ils auraient pu faire dans la Suisse.

La curiosité était encore excitée par une autre circonstance : ils parlaient entre eux une langue qui certainement n’était ni l’allemand, ni l’italien, ni le français, mais d’après laquelle un vieux garçon de cabaret, qui jadis était allé jusqu’à Paris, supposait qu’ils pouvaient bien être Anglais : peuple dont on ne savait autre chose sinon qu’il était une race insulaire et superbe, en guerre avec la France depuis plusieurs années, et dont un corps considérable qui avait envahi les cantons de Forêts avait essuyé une telle défaite dans la vallée de Ruswil, qu’elle n’était pas encore oubliée par les vieillards à cheveux gris de Lucerne, à qui leurs pères avaient conté cette histoire.

Le jeune homme qui accompagnait les étrangers fut bientôt reconnu pour un naturel du pays des Grisons, qui leur servait de guide autant que sa connaissance des montagnes le lui permettait. Il disait qu’ils voulaient aller à Bâle, mais qu’ils semblaient désirer prendre des routes de traverse et peu fréquentées. Ces dernières circonstances augmentèrent le désir général d’en savoir davantage sur les voyageurs et sur leurs marchandises. Aucune balle ne fut ouverte pourtant, et les marchands, quittant Lucerne le lendemain matin de leur arrivée, reprirent leur pénible route, aimant mieux faire un circuit et suivre de mauvais chemins à travers les cantons pacifiques de la Suisse, que s’exposer aux exactions et aux