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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/390

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avait dédiée à quelque naïade solitaire… elle était entourée d’oliviers, d’amandiers et d’orangers… on avait réparé le bassin… on lui avait appris de nouveau à retenir ses trésors de cristal. Les hauts amphithéâtres et les colonnades gigantesques étaient traités avec autant de soin et de sollicitude, attestant que les plus nobles échantillons des beaux-arts trouvaient un admirateur et un conservateur dans le roi René, au milieu même de ces siècles que nous disons plongés dans les ténèbres de la barbarie.

On pouvait aussi observer un changement de manières parmi le peuple, en passant de Bourgogne et de Lorraine, où la société se ressentait de la rudesse allemande, dans la contrée pastorale de Provence, où l’influence d’un beau climat et d’un mélodieux langage, jointe aux goûts du vieux monarque romanesque, avec le penchant universel pour la musique et la poésie, avait introduit une sévérité de mœurs qui ressemblait à de l’affectation. Littéralement, le berger, en conduisant chaque matin son troupeau vers le pâturage, jouait sur sa flûte quelque tendre sonnet, composition d’un troubadour amoureux, et les moutons, sua cura, semblaient réellement céder à l’influence de la musique, au lieu d’être disgracieusement insensibles à la mélodie comme dans les climats plus froids. Arthur observa aussi que les moutons provençaux, au lieu d’être chassés devant le berger, le suivaient régulièrement, et ne se dispersaient pour paître que lorsque leur gardien, se retournant de leur côté, restant immobile et exécutant des variations sur l’air qu’il jouait, semblait leur rappeler qu’il était convenable de le faire. Quand il marchait, son énorme chien, d’une espèce dressée à tenir tête au loup, et respecté par le troupeau comme gardien, sans être redouté comme tyran, suivait son maître, tenant l’oreille toujours droite, comme critique principal et premier juge de l’exécution à certaines notes de laquelle il manquait rarement de témoigner sa désapprobation ; tandis que le troupeau, de même qu’un nombreux auditoire, donnait des applaudissements unanimes mais silencieux à l’heure de midi. Le berger voyait son assemblée s’augmenter parfois d’une avenante maîtresse ou d’une fraîche jeune fille avec laquelle il avait rendez-vous à une de ces fontaines que nous avons décrites, et qui écoutait le chalumeau de son mari ou de son amant, ou mêlait sa voix à la sienne dans les duos dont les chants des troubadours ont laissé tant d’exemples. À la fraîcheur du soir, la danse sur la pelouse ou le concert devant la porte du hameau ; le petit repas de fruits, de fromage et de pain,