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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/40

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s’en était allée avec le roc, qui avait produit un fracas semblable à celui du tonnerre, et des nuages de poussière et de fumée en tombant au milieu des torrents et des tourbillons de l’abîme en furie. En effet, le marin arraché au tillac d’un vaisseau qui fait naufrage, lancé au loin dans les vagues, et froissé contre les rochers du rivage, ne diffère pas plus du même matelot qui, au commencement de la tempête, se tenait sur le pont de son navire favori, fier de sa force et de sa propre dextérité, qu’Arthur commençant son expédition ne différait du même Arthur, lorsque, s’accrochant au tronc pourri d’un vieil arbre, et suspendu entre ciel et terre, il vit rouler le rocher qu’il avait été si près de suivre. Les effets de sa terreur étaient, à la vérité, physiques aussi bien que moraux, car mille couleurs jouaient devant ses yeux ; il était attaqué d’un affreux vertige, et en même temps privé de l’obéissance des membres qui l’avaient jusque-là si admirablement servi. Ses bras et ses mains, comme n’agissant plus dès lors d’après sa volonté, se cramponnaient tantôt aux branches de l’arbre avec une ténacité nerveuse qui paraissait tout-à-fait indépendante de son pouvoir, et tantôt tremblaient dans un état de relâchement des nerfs si complet, qu’il lui était impossible de ne pas craindre que ses membres ne devinssent incapables de le soutenir plus long-temps dans cette position.

Un incident, léger en lui-même, augmenta encore la détresse que lui occasionna cette aliénation de ses facultés. Tous les êtres vivants du voisinage avaient été, comme on peut le croire, chassés de leur retraite par la chute épouvantable à laquelle son passage avait donné lieu. Des volées de chats-huants, de chauves-souris et d’autres oiseaux de ténèbres, forcés de voltiger alors au milieu des airs, n’avaient pas tardé long-temps à rentrer dans leurs berceaux de lierre ou dans les abris que leur présentaient les trous et les crevasses des rochers voisins. Un de ces oiseaux sinistres se trouva être un lammergeier ou vautour des Alpes, oiseau plus grand et plus vorace que l’aigle lui-même, et qu’Arthur n’avait pas été accoutumé à voir ou du moins à regarder de près. Avec l’instinct ordinaire à la plupart des animaux de proie, ce lammergeier a coutume, lorsqu’il est gorgé de nourriture, de se choisir une position d’une sécurité inaccessible, et d’y rester stationnaire et immobile des jours entiers, jusqu’à ce que l’œuvre de la digestion soit accomplie, et que l’activité lui revienne aiguillonnée par l’appétit. Troublé dans un tel état de repos, un de ces terribles vautours s’était