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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/40

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religieux qu’avaient pris ses pensées depuis qu’il était entré dans le désert de la tentation. Par une inconséquence assez remarquable, le Sarrasin chantait aussi les louanges du vin, le rubis liquide des poètes persans, et sa gaîté finit par être tellement en opposition avec les sentiments tout contraires qui absorbaient le chevalier chrétien, que, sans le pacte d’amitié qu’ils s’étaient juré, sir Kenneth aurait probablement pris ses mesures pour lui faire changer de ton. Quoi qu’il en soit, il lui semblait avoir à son côté quelque démon licencieux et corrupteur qui cherchait à tendre des pièges à son âme, et à mettre en danger son salut éternel, en lui inspirant la pensée coupable des plaisirs mondains, et en troublant ses dévotions dans un moment où sa parole de chrétien et son vœu de pèlerin lui imposaient le devoir de se livrer à des pensées de piété et de pénitence. Il était donc fort embarrassé et fort indécis sur le parti qu’il prendrait, et ce fut d’un ton brusque et mécontent qu’il rompit enfin le silence ; il interrompit le lai du célèbre Rudpiki, dans lequel le poète déclare préférer le signe qui est sur le sein de sa maîtresse à toutes les richesses de Bokhara et de Samarcande.

« Sarrasin, » dit-il d’un ton sévère, « tout aveuglé, tout plongé que tu sois dans les erreurs d’une loi fausse, tu devrais pourtant comprendre qu’il y a des lieux plus saints que d’autres, qu’il en est aussi dans lesquels l’esprit du mal a plus que son pouvoir ordinaire sur les mortels pécheurs. Je ne te dirai pas pour quelle cause effrayante ces rochers, ces cavernes avec leurs sombres voûtes qui semblent conduire aux abîmes infernaux, sont regardés comme plus spécialement fréquentés par Satan et les anges des ténèbres. Il suffit que j’aie été averti depuis long-temps des dangers de ce lieu par de sages et saints hommes auxquels la nature de cette région dangereuse est bien connue. Suspends donc cette gaîté folle et déplacée, et tourne tes pensées sur quelque sujet plus convenable à ce lieu, quoique, hélas ! il ne puisse y avoir que péché et blasphème dans tes plus dévotes prières ! »

Le Sarrasin l’écouta avec quelque surprise, et lui répondit d’un ton de bonne humeur, et avec autant de gaîté que la politesse lui permit d’en mettre dans ses paroles : « Bon sir Kenneth, il me semble que vous en agissez un peu injustement avec votre compagnon. Je ne me suis pas offensé de vous voir vous gorger de chair de porc et de vin, et je vous ai laissé jouir de ce que vous appelez vos privilèges de chrétien, me contentant dans le fond du cœur de déplorer vos jouissances animales. Pourquoi donc seriez-vous scan-