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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/103

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qu’ils venaient des régions éloignées de la mer Baltique… immense océan, quelquefois couvert entièrement de glaces aussi dures que les rochers du mont Caucase. Ils allaient chercher des climats plus doux que celui que la nature leur avait assigné : or, celui de la France était délicieux, et les hommes qui l’habitaient n’aimaient pas la guerre : les Northmen leur arrachèrent la concession d’une grande province, qui fut, du nom de ceux qui venaient s’y établir, appelée Normandie, quoique j’aie entendu dire à mon père que ce n’était point son vrai nom. Ils s’y établirent sous l’autorité d’un duc qui reconnaissait la puissance supérieure du roi de France, c’est-à-dire qui obéissait à ce prince quand il lui convenait de le faire.

« Il y a plusieurs années, tandis que ces deux nations de Normands et d’Anglo-Saxons résidaient tranquillement sur les bords opposés du bras de mer qui sépare la France de l’Angleterre, Guillaume, duc de Normandie, leva subitement une armée considérable, débarqua dans le pays de Kent, qui est de l’autre côté du détroit, et défit dans une grande bataille Harold, qui était alors roi des Anglo-Saxons. Le récit de ce qui s’ensuivit est une source de désespoir. Il s’est livré anciennement des batailles qui ont eu des résultats terribles, mais que le temps néanmoins pouvait effacer ; mais, ô douleur ! à Hastings… la bannière de mon pays tomba pour ne jamais se relever. Le char de l’oppression a passé sa route sur nous. Tout ce qu’il y avait de braves a quitté le pays, et de tous les Anglais… car tel est notre nom véritable… nul n’est resté en Angleterre, si ce n’est pour être esclave des conquérants. Plusieurs individus descendants des Danois, qui étaient venus s’établir en différentes occasions sur le sol de l’Angleterre, furent enveloppés dans le malheur commun. Tout fut dévasté par les vainqueurs. La maison de mon père n’est plus aujourd’hui qu’une ruine inaperçue au milieu d’une vaste forêt qui s’est étendue sur l’emplacement des champs fertiles et des gras pâturages, qui de leurs produits nourrissaient une race vigoureuse. Les flammes ont détruit l’église où dorment les ancêtres de ma famille ; et moi, le dernier de leurs descendants, j’erre en d’autres climats… versant mon sang pour les querelles des autres, servant un maître étranger, quoique bon ; en un mot, je suis un banni… un Varangien. — Plus heureux dans cette situation, ajouta Achille Tatius, que dans toute la simplicité barbare dont vos ancêtres faisaient un si grand cas, puisque vous vous trouvez maintenant sous la bienfaisante influence du sourire qui vivifie le monde.