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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/159

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ces chaudes descriptions qui avaient blessé la comtesse Brenhilda.

« Sir Artavan de Hautlieu, dit l’histoire, cherchait de quelle manière il accosterait la belle endormie, lorsque tout-à-coup il eut l’esprit frappé d’un moyen qui lui sembla extrêmement propre à rompre le charme qui la retenait. C’est à vous de juger, belle dame, s’il eut tort de croire qu’il n’avait rien de mieux à faire qu’à déposer un baiser sur les lèvres de la dormeuse. » Les joues de Brenhilda se colorèrent un peu plus vivement, mais elle ne jugea pas cette observation digne de réponse.

« Jamais une action aussi innocente, continua le philosophe, n’eut d’effet plus horrible : la délicieuse lumière d’un soir d’été se changea tout-à-coup en une lueur livide imprégnée de soufre, et qui semblait répandre un air suffocant dans l’appartement. Les riches tentures, le splendide ameublement de la chambre, les murailles même, se transformèrent en pierres énormes entassées pêle-mêle, comme l’intérieur de l’antre d’une bête féroce, et cet antre n’était pas inhabité. Les belles et innocentes lèvres dont Artavan de Hautlieu avait approché les siennes, prirent la forme hideuse et bizarre, l’aspect horrible d’un dragon enflammé. L’animal agita un moment ses ailes, et l’on dit que, si le sir d’Artavan avait eu le courage de répéter trois fois son premier salut, il serait alors demeuré maître de toutes les richesses et de la princesse arrachée à l’enchantement. Mais l’occasion était perdue, et le dragon, ou l’être qui en avait la forme, s’envola par une fenêtre, au moyen de ses grandes ailes, en poussant de hauts cris de désappointement. »

Là finit l’histoire d’Agelastès. « On suppose, ajouta-t-il, que la princesse subit encore son destin dans l’île de Zulichium, et plusieurs chevaliers ont entrepris l’aventure ; mais je ne sais pas si ç’a été par la crainte de donner un baiser à la princesse endormie, ou par la crainte du dragon en quoi elle se transforme ; mais le charme subsiste toujours. Je connais le chemin, et si vous dites un mot, vous pouvez être demain en route pour le château enchanté. »

La comtesse entendit cette proposition avec la plus vive inquiétude, car elle savait qu’en s’y opposant elle pouvait déterminer irrévocablement son mari à s’engager dans cette aventure. Elle demeura donc l’air timide et craintif, chose étrange dans une personne dont la conduite était généralement intrépide, et laissa prudemment au comte Robert, sans chercher à l’influencer, le soin de prendre la résolution qu’il jugerait convenable.

« Brenhilda, » dit le comte en lui prenant la main, » la réputa-