Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quet ; et, s’appuyant en arrière sur leurs sièges, ils s’occupèrent à observer la manière dont le reste des hôtes faisait honneur au festin.

Un synode moderne de gourmands aurait à peine égalé la famille impériale assise à un banquet philosophique. Nos gastronomes possèdent peu cette critique approfondie de toutes les branches théoriques de la science de manger ; ils n’ont point cette activité et cette patience infatigable dans la pratique de leur art. Les dames, à la vérité, ne mangeaient pas beaucoup de chaque plat, mais elles goûtaient de tous ceux qui leur étaient présentés, et leur nom était Légion. Néanmoins, après un court espace de temps, la rage de la faim et de la soif fut apaisée, comme dit Homère, ou plus probablement la princesse Comnène se trouva fatiguée de ne pas attirer l’attention du convive assis auprès d’elle, et qui, si l’on ajoute sa haute réputation militaire à un très bel extérieur, était un personnage par qui peu de dames eussent voulu se voir négliger. « Il n’y a point de nouvelle façon d’agir, qui ne ressemble à une ancienne, » dit notre père Chaucer ; et les paroles d’Anne Comnène au comte Robert ressemblaient assez à celles qu’emploierait une de nos dames à la mode pour lier conversation avec l’incroyable placé à ses côtés, et distrait par quelque rêverie. « Nous vous avons joué de la flûte, dit la princesse, et vous n’avez pas dansé ! Nous vous avons chanté le joyeux chorus d’Évoé, et vous ne voulez adorer ni Comus ni Bacchus ! Devons-nous donc vous croire un partisan des Muses au service desquelles, aussi bien qu’à celui de Phébus, nous avons nous-même la prétention d’être enrôlée ? — Belle dame, répliqua le Franc, ne vous offensez pas si je vous dis une fois pour toutes, en termes clairs, que je suis chrétien et que je crache au visage d’Apollon, de Bacchus et de Comus, et que je défie toutes les divinités païennes, quelles qu’elles soient. — Oh ! cruelle interprétation de mes paroles inconsidérées ! s’écria la princesse ; je ne faisais que mentionner les dieux de la poésie, de l’éloquence et de la musique, honorés par nos divins philosophes, et dont les noms sont encore employés pour désigner les arts et les sciences auxquels ils présidaient… et le comte condamne mes expressions comme une infraction au second commandement ! Sainte Vierge, préservez-moi ! nous avons besoin de prendre garde à ce que nous disons, si nos paroles sont interprétées si sévèrement. »

Le comte sourit en entendant ces mots. « Je n’avais nulle pensée injurieuse, madame, dit-il, et je ne voudrais interpréter vos paroles