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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/210

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« Regarde-moi, dit le captif, et réjouis-toi de ce que tu peux encore voir le misérable état auquel le cœur de fer de la tyrannie peut réduire un homme, son semblable, dans cette vie et dans l’autre. — Est-ce vous, » demanda le comte Robert, dont le sang était glacé dans les veines, « qui avez eu le courage de passer votre temps à scier les blocs de pierre qui assujettissent ces verroux ? — Hélas ! répondit Ursel, que pouvait faire un homme aveugle ? Il fallait m’occuper, si je voulais conserver ma raison. Cet immense travail m’a coûté trois ans de peine, et vous ne pouvez vous étonner que j’y aie consacré tout mon temps lorsque je n’avais aucun autre moyen de l’employer. Mon cachot peut-être, et même très probablement, ne permet point de distinguer le jour de la nuit ; mais l’horloge d’une cathédrale éloignée m’annonçait comment les heures s’enfuyaient l’une après l’autre, et chacune me trouvait occupé à frotter une pierre contre une autre. Mais lorsque la porte céda à mes efforts, je m’aperçus que je n’avais fait que m’ouvrir un accès dans une prison plus forte que celle qui me renfermait. Je m’en réjouis néanmoins, puisque cette circonstance nous a réunis ; elle t’a donné une entrée dans mon cachot, et à moi un compagnon dans ma misère. — Pense à quelque chose de mieux que cela, reprit le comte Robert ; pense à la liberté… pense à la vengeance ! Je ne puis croire qu’une trahison si infâme se termine par le succès, autrement je serais forcé de dire que le ciel est moins juste que les prêtres ne nous disent. Comment t’arrive ta nourriture dans ce cachot ? — Un geôlier, qui, je pense, n’entend pas la langue grecque… du moins il ne me répond jamais et ne m’adresse jamais la parole… un geôlier m’apporte un pain et une cruche d’eau qui suffisent à soutenir ma misérable vie pendant deux jours. Je dois donc vous prier de vous retirer pendant un certain espace de temps dans la prison voisine, afin que cet homme ne puisse connaître que nous pouvons communiquer ensemble. — Je ne vois pas par où le barbare, si c’en est un, peut entrer dans mon cachot sans passer par le tien ; mais peu importe, je me retirerai dans la dernière chambre ou dans la première, quelle que soit celle de ces deux qualifications qui lui convienne, et rappelle-toi bien que ce gardien aura une prise de collet avec quelqu’un avant de terminer ses fonctions aujourd’hui. En attendant, imagine-toi être muet comme tu es aveugle, et sois sûr que l’offre de ma liberté même ne me porterait pas à abandonner la cause d’un compagnon d’infortune. — Hélas ! j’écoute tes promesses comme je fais celles de la brise du matin, qui