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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/274

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contenu, il le présenta à Irène. L’impératrice ne mit pas long-temps à le lire, et le passant à sa fille d’un air si courroucé qu’elle eut peine à indiquer le passage qui excitait si violemment sa colère : « Lis, » lui dit-elle avec chaleur, « lis, et juge de la reconnaissance et de l’affection de ton césar. »

La princesse Anne Comnène, se réveillant d’un état de mélancolie profonde, jeta les yeux sur le passage qui lui était indiqué, d’abord avec un air de curiosité languissante qui fut bientôt remplacé par l’intérêt le plus vif. Elle serra le parchemin comme le faucon serre sa proie, son œil s’enflamma d’indignation, et ce fut avec le cri de cet oiseau qu’elle s’écria : « Traître infâme ! traître sanguinaire ! que voulais-tu donc encore ? Non, mon père, » disait-elle en se levant furieuse, « ce ne sera pas la voix d’une princesse trompée qui intercédera pour soustraire le traître Nicéphore à la sentence qu’il a méritée ! Croit-il qu’on puisse divorcer avec une femme née dans la chambre de pourpre… l’assassiner peut-être… avec la simple formule des Romains : Rends-moi les clefs… ne te charge plus des soins du ménage[1] ? Une fille du sang des Comnène doit-elle être exposée à des insultes que le dernier des citoyens se permet à peine envers une esclave qui préside à l’intérieur de sa maison ? »

En parlant ainsi, elle essuyait les larmes qui coulaient de ses yeux, et sa figure, naturellement aussi douce que belle, avait l’expression d’une furie. Hereward la regardait avec un mélange de crainte, de dégoût et de pitié. Elle éclata de nouveau, car la nature, en la douant de grandes qualités, lui avait en même temps donné d’énergiques passions bien supérieures à la froide ambition d’Irène ou à la politique rusée, double et astucieuse de l’empereur.

« Il le paiera cher ! s’écria-t-elle ; il le paiera cher !… le traître, avec son sourire et ses caresses !… Et pour une barbare qui répudie son sexe ! Je m’en doutai lors du festin que nous donna ce vieux fou… Et pourtant si cet indigne césar s’expose à la chance des armes, il est moins prudent que je n’avais lieu de le croire. Pensez-vous qu’il aura la folie de nous faire un affront si public, mon père ? et ne trouverez-vous pas quelques moyens d’assurer notre vengeance ? — Oh ! pensa l’empereur, voici une difficulté de moins ; avide de vengeance, elle aura besoin de frein et de bride plus que d’éperon. Si toutes les femmes jalouses de Constantinople s’abandonnaient à leur fureur avec autant d’impétuosité, nos lois, comme celles de

  1. Formule laconique du divorce romain. w. s.