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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/276

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dit l’impératrice. Vous, déjà arrivé au milieu de la vie ; vous dont l’épouse peut encore mériter quelque attention, vouloir causer des craintes jalouses à un aussi bel homme que le comte Robert, et donner l’alarme à une amazone telle que sa femme ! — Non pas, dame Irène, avec votre permission, dit l’empereur ; j’ai laissé ce rôle de la comédie à mon gendre le césar. »

Mais le pauvre empereur, en fermant ainsi une écluse, ne fit qu’en ouvrir une autre plus formidable. « C’est encore plus indigne de votre sagesse impériale, mon père ! s’écria la princesse Anne Comnène ; il est honteux qu’avec une sagesse et une barbe comme la vôtre, vous vous mêliez d’indécentes folies qui introduisent le trouble dans l’intérieur des familles, et que cette famille soit celle de votre propre fille ! Qui peut dire que le césar Nicéphore Brienne ait jamais jeté les yeux sur une autre femme que son épouse, avant que l’empereur lui eût appris à le faire, et l’eût ainsi enveloppé dans un tissu d’intrigues et de trahisons, au milieu desquelles il a mis en danger la vie de son beau-père ? — Ma fille ! ma fille ! ma fille !… s’écria l’impératrice, il faut être fille d’une louve, je crois, pour accuser ainsi son père dans un si malheureux moment, quand tout le loisir qu’il a ne lui suffit pas pour défendre sa propre vie ? — Femmes ! faites trêve à vos clameurs insensées, répliqua Alexis, et laissez-moi du moins agir pour sauver ma vie, sans me troubler par vos discours ridicules. Dieu sait si je suis homme à encourager, je ne dirai pas la réalité, mais même la simple apparence du mal. »

Il prononça ces mots en se signant et en poussant un dévot soupir. À cet instant, sa femme Irène s’avança devant lui, et lui dit d’un ton d’ironie amère qui ne pouvait provenir que d’une haine conjugale long-temps comprimée et qui rompait soudain toutes les digues : « Alexis, terminez cette affaire comme bon vous semblera ; vous avez vécu en hypocrite, et vous ne manquerez pas de mourir de même ! » Après ces mots, prononcés avec l’accent d’une noble indignation, emmenant sa fille avec elle, elle sortit de l’appartement.

L’empereur les regarda s’éloigner avec quelque confusion. Cependant il se remit bientôt, et se tournant vers Hereward avec un air de majesté blessée : « Ah ! mon cher Édouard, » lui dit-il (car ce nom s’était gravé dans son esprit à la place de celui d’Hereward), « tu vois comme les grands de ce monde, comme l’empereur lui-même, dans des moments critiques, est exposé à voir mal interpréter ses intentions aussi bien que le plus humble bourgeois de Cons-