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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/293

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efficacement le comte et son épouse. — C’est une noble proposition dit le duc de Bouillon ; c’est un charitable pardon des injures qui convient à notre expédition chrétienne ; mais tu as oublié la principale difficulté, frère Bohémond, le serment que nous avons fait de ne jamais revenir sur nos pas dans notre saint voyage. — Si nous pouvons éluder ce serment en cette occasion, reprit Bohémond, notre devoir est de le faire. Sommes-nous donc si mauvais cavaliers, ou nos chevaux sont-ils si indociles, que nous ne puissions les mener à reculons jusqu’au lieu de l’embarquement, à Scutari ? Nous pouvons nous embarquer en marchant de ce pas rétrograde ; et quand nous serons arrivés en Europe où nos vœux ne nous lieront plus, nous secourrons le comte et la comtesse de Paris, et nos vœux resteront entiers dans la chancellerie du ciel. »

Un cri général s’éleva : « Longue vie au vaillant Bohémond !… honte à nous, si nous ne courons pas au secours d’un si brave chevalier et d’une dame si belle, puisque nous pouvons le faire sans manquer à notre serment ! — La question, dit Godefroy, me semble être plutôt éludée que résolue ; mais de tels subterfuges ont été souvent admis par les théologiens les plus savants et les plus scrupuleux, et je n’hésite pas plus à user de l’expédient de Bohémond, que si l’ennemi eût attaqué notre arrière-garde, ce qui aurait fait d’une contre-marche une manœuvre de première nécessité. »

Il y eut néanmoins dans l’assemblée, et particulièrement parmi les ecclésiastiques, des gens qui pensèrent que le serment par lequel les croisés s’étaient solennellement engagés devait être exécuté à la lettre. Mais Pierre l’Ermite, qui avait entrée au conseil et jouissait d’une grande influence, déclara que son opinion était « que, puisque l’observation exacte de leur vœu tendrait à diminuer les forces de la croisade, il y aurait illégalité à s’en tenir au sens littéral lorsqu’on pouvait l’éluder d’une manière honorable. »

Il offrit de faire marcher lui-même à reculons l’animal qu’il montait… c’est-à-dire son âne ; et, quoiqu’il fût détourné du projet de donner ainsi l’exemple par les remontrances de Godefroy de Bouillon, qui craignait que le prophète ne devînt un sujet de dérision pour les païens, cependant il argumenta si bien que les chevaliers, loin de se faire un scrupule de cette contre-marche, se disputèrent l’honneur d’être du nombre de ceux qui se rendraient à Constantinople pour voir combattre et ramener ensuite à l’armée le valeureux comte de Paris, vainqueur, comme personne n’en doutait, et l’amazone son épouse.