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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/217

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bourg une magistrature composée d’hommes justes et craignant Dieu, auxquels n’était pas confié en vain le glaive de la justice, et qui étaient redoutés des malfaiteurs et honorés des gens de bien. Dans ces temps glorieux du digne et vénérable prévôt Dick[1], quand l’assemblée générale de l’Église, formée d’hommes pieux et fidèles, s’unissait aux vrais barons écossais, aux magistrats de cette ville et des autres villes d’Écosse, aux gentilshommes, aux bourgeois et au peuple, ne formant qu’un seul et même cœur, voyant des mêmes yeux, entendant des mêmes oreilles, et réunissant toutes leurs forces pour soutenir ensemble l’arche sainte ; alors on voyait les particuliers livrer leurs trésors à l’État avec autant d’indifférence que si c’eût été des pierres. Mon père a vu jeter les sacs de dollars de la croisée du prévôt Dick dans les fourgons destinés à les transporter à l’armée de Dunse-Law ; et si vous ne voulez pas en croire son témoignage, on peut vous montrer encore cette même croisée dans les Luckenbooths. Je crois que c’est un marchand de draps qui occupe aujourd’hui cette boutique, aux Chandeliers de fer, cinq portes au-dessus de l’enclos de Gossford ; mais nous n’avons plus maintenant le même esprit, nous faisons plus de cas de la moindre vache de notre étable que de la bénédiction que l’ange de la nouvelle alliance

  1. Sir William Dick offre un exemple frappant de l’inconstance de la fortune. Il fut pendant un temps l’homme le plus riche qui existât en Écosse, à la tête d’un commerce extrêmement étendu, et administrateur des deniers publics. En 1640, il estimait sa fortune à 200,000 livres sterling. Sir William Dick était un membre zélé du Covenant, et dans la mémorable année de 1641, il prêta aux états écossais 100,000 marcs à la fois, et par-là les mit en état de soutenir et de payer l’armée, qui autrement aurait été licenciée. Il avança ensuite 20,000 livres sterling pour le service du roi Charles pendant l’usurpation ; et s’étant attiré l’inimitié du parti dominant par ce service rendu à la cause royale, on le dépouilla d’une autre somme d’argent montant en tout à 65,000 livres sterling.
    Étant ainsi réduit à l’indigence, il alla à Londres pour tâcher de recouvrer une partie des sommes qu’il avait avancées sur la garantie du gouvernement ; mais, au lieu de recevoir aucune satisfaction, le Crésus écossais fut jeté dans une prison, où il mourut le 19 décembre 1655.
    On dit que sa mort fut hâtée par le manque du nécessaire ; mais ce rapport est un peu exagéré, s’il est vrai, comme on le dit communément, que, quoiqu’on ne lui fournît pas de pain, on ne l’ait pas laissé manquer de croûte de pâté, qui de là fut appelée le nécessaire de sir William Dick.
    Une brochure in-folio, intitulée État déplorable de feu sir William Dick, sert de monument aux vicissitudes de sa fortune. Elle contient plusieurs gravures, dont l’une représente sir William à cheval et environné de gardes, en sa qualité de lord prévôt d’Édimbourg, au moment où il surveille le déchargement d’un de ses riches navires. Une seconde le montre arrêté et entre les mains des huissiers. Une troisième le représente mort en prison. Cet ouvrage est regardé comme très-précieux par les amateurs de gravures. Le seul exemplaire que j’en aie jamais vu fut acheté 30 livres sterling.