Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

der le nom des gens ? Avez-vous envie que je vous enfonce mon couteau entre les côtes, comme dit ma mère ? »

Comme elle prononça ces paroles d’un ton et avec un geste menaçant, Jeanie se hâta de protester qu’elle lui avait fait cette question tout à fait par hasard et sans aucun dessein, et Madge Wildfire, un peu radoucie, continua ainsi :

« Ne demandez jamais le nom des gens, Jeanie, cela n’est pas honnête. J’ai vu une demi-douzaine de personnes chez ma mère, et pas une d’elles ne s’appelait par son nom ; et Daddie Raton dit que c’est la chose la plus malhonnête du monde, parce que les baillis sont toujours à vous faire des questions embarrassantes pour savoir si vous avez vu tel ou tel ; et lorsque vous ne savez pas leur nom, voyez-vous, vous n’êtes pas obligée de le dire. »

« À quelle étrange école cette pauvre fille a-t-elle été élevée, pensa Jeanie, pour qu’on y prît de semblables précautions contre les poursuites de la justice ! Que dirait mon père, ou Reuben, si je leur apprenais qu’il existe dans le monde de tels êtres ! Et comment oser abuser à ce point de la simplicité de cette pauvre insensée. Oh ! si j’ai le bonheur de me retrouver un jour au milieu des miens, je bénirai Dieu, tant que je respirerai, de m’avoir placée parmi ceux qui vivent dans sa crainte et à l’ombre de son aile. »

Elle fut interrompue par le rire insensé de Madge, qui regardait une pie sautiller sur le chemin.

« Voyez, dit-elle, voilà justement de quelle manière mon vieil amoureux allait sautillant, pas si légèrement pourtant ; car il n’avait pas d’ailes pour aider ses vieilles jambes ; en bien ! malgré tout cela, je l’aurais épousé, Jeanie, sans quoi ma mère m’aurait tuée. Mais vint ensuite l’histoire de mon pauvre enfant, et ma mère eut peur qu’il n’entendît ses cris, de sorte qu’elle alla l’enterrer sous ce monceau de gazon que vous avez vu là-bas, au pied du peuplier, et je crois qu’elle a enterré avec lui tout ce que j’avais de raison ; car depuis je n’ai plus été la même. Et voyez un peu, Jeanie, après que ma mère se fut donné tant de peine, le vieux Johny Drottle me tourna le dos et ne voulut plus me regarder. Mais je ne m’en soucie guère, car depuis j’ai toujours mené joyeuse vie, et jamais un beau monsieur ne me regarde qu’il ne me semble prêt à tomber à la renverse d’amour pour moi. J’en ai vu mettre leur main dans leur poche et me donner jusqu’à dix sous à la fois, seulement pour avoir le plaisir de me regarder. »