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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 6, 1838.djvu/213

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milles d’ici ; que les contrebandiers, après avoir été chercher du renfort, les poursuivaient dans l’intention déclarée de reprendre les marchandises et de tuer les douaniers qui avaient osé les saisir ; enfin que leurs chevaux étant chargés, et les gens qui étaient à leur poursuite gagnant du terrain sur eux, ils s’étaient réfugiés à Woodbourne, persuadés que mon père, qui avait été au service du roi, ne refuserait pas de protéger des officiers du gouvernement mis en péril d’être massacrés pour avoir rempli leur devoir.

« Mon père, que ses sentiments chevaleresques de loyauté militaire porteraient à traiter avec considération un chien s’il se présentait au nom du roi, donna l’ordre de faire entrer les marchandises dans la maison, et fit prendre les armes aux domestiques pour se défendre dans le cas où il serait attaqué. Hazlewood le seconda avec beaucoup de zèle ; cet étrange animal qu’on appelle Sampson sortit lui-même de sa tannière, et se saisit d’un fusil de chasse que mon père avait quitté pour prendre une de ces carabines avec lesquelles on chasse les tigres dans l’Inde. Mais le fusil partit dans la main maladroite du pauvre ministre, et peu s’en fallut qu’il ne tuât un des douaniers. À cette explosion soudaine, Dominie (c’est son sobriquet) s’écria : « Pro-di-gi-eux ! " c’est son exclamation ordinaire quand il éprouve de l’étonnement ; mais rien au monde ne put le décider à déposer son arme : on la lui laissa donc, en ayant soin toutefois de ne pas lui donner de munitions. Rien de tout cela, comme vous pensez bien, ne vint à ma connaissance dans le moment même (sinon que j’entendis le coup de fusil et en fus fort alarmée) ; ce ne fut qu’après la scène dont je vais vous donner les détails, qu’Hazlewood nous fit un récit très amusant du courage que le maladroit Dominie avait déployé dans cette circonstance.

« Quand mon père eut fait toutes ses dispositions pour la défense de la maison, et posté son monde, l’arme au bras, aux fenêtres, il vint nous ordonner de nous mettre à l’abri du danger… dans la cave, je crois… mais rien ne put nous décider à quitter la chambre. Bien que mourante de peur, j’ai trop du caractère de mon père pour ne pas préférer voir en face un danger qui nous menace, plutôt que d’en entendre le bruit autour de moi, sans pouvoir juger de sa nature et de ses progrès. Lucy, pâle comme une statue de marbre, les yeux fixés sur Hazlewood, entendait à peine les instances qu’il lui faisait de se retirer. Il est vrai que, à moins que la porte de la maison ne fût enfoncée, il y avait peu à craindre pour nous. Les fenêtres étaient bien barricadées avec des