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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/135

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vous prétendez avoir vu le diable ? — Vraiment oui ! et je n’avais pas envie d’en voir davantage. Pourtant nous reconduisîmes, comme notre devoir l’exigeait, maître Bletson à la Loge, et il marmottait tout le long du chemin qu’il avait rencontré une troupe de diables écarlates incarnés, se dirigeant vers la Loge ; mais selon moi, ce devaient être les dragons indépendants qui venaient de nous dépasser. — Et des diables plus incarnés que l’on n’en ait jamais pu voir, » dit Wildrake qui ne pouvait rester plus long-temps sans parler. Sa voix, qui se fit entendre subitement, montra combien les nerfs du maire étaient encore affectés, car il tressaillit, et fit un saut du côté avec une vitesse dont il était impossible, au premier coup d’œil, de croire capable un homme d’une pareille corpulence. Éverard imposa silence à son indiscret compagnon ; et, curieux d’entendre la fin de cette histoire, il supplia le maire de lui dire comment la chose s’était terminée, et s’ils avaient arrêté le spectre supposé. — Vraiment oui, mon digne monsieur ! maître Holdenough fut assez audacieux pour regarder en quelque sorte le diable en face et le forcer à se montrer sous la forme réelle de maître Joshua Bletson, membre du parlement pour le bourg de Littlerath. — En vérité, monsieur le maire, ce serait étrangement méconnaître ma mission et mes privilèges si j’allais me faire valoir parce que j’ai attaqué Satan, ou bien un indépendant qui lui ressemblait, monstres que, au nom du Dieu que je sers, je défie tous, monstres auxquels je crache au visage et que je foule aux pieds. Mais comme monsieur le maire n’est pas très amusant dans sa narration, je dirai brièvement à Votre Honneur que cette nuit-là nous ne vîmes de l’ennemi que ce qu’il plut à maître Bletson de nous en dire dans le premier instant de sa frayeur, et ce que nous avons pu juger d’après l’air effaré de l’honorable colonel Desborough et du major-général Harrison. — Et dans quel état les avez-vous trouvés, je vous prie ? demanda le colonel. — Ma foi, mon digne monsieur, la moitié d’un œil suffirait pour voir qu’ils avaient combattu sans avoir l’honneur de la victoire, car le général Harrison arpentait ! le Sillon dans tous les sens, son épée nue à la main, se parlant à lui-même, son pourpoint déboutonné, ses aiguillettes détachées, ses jarretières dénouées, manquant de tomber toutes les fois qu’il marchait dessus ; enfin, grimaçant et ricanant comme un fou de comédie. Desborough était assis devant une bouteille de vin sec, qu’il venait de vider, et qui, bien qu’elle fût le spécifique qu’il lui fallait, ne lui avait rendu ni la force de parler, ni le courage de re-