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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/164

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lence naturelle et le mettre en garde contre son penchant à s’y abandonner. Mais quand elle était violemment agitée, l’impétuosité de caractère du jeune soldat était parfois capable de surmonter ces obstacles cachés ; puis, comme un torrent écumeux qui franchit une barrière, elle devenait plus furieuse, comme pour se venger du calme forcé qu’elle avait été contrainte de prendre. En pareil cas, il avait coutume de n’envisager que le but où se dirigeaient ses pensées, et d’y courir droit, que ce fût un objet moral ou la brèche d’une ville ennemie, sans calculer, sans même sembler voir les difficultés qui pouvaient se rencontrer sur son passage.

Pour le moment, son motif dominant, son seul motif était de détacher sa chère cousine, s’il le pouvait, d’une machination périlleuse et déshonorante dont il la soupçonnait d’être complice, ou de s’assurer qu’elle n’était réellement pour rien dans ces stratagèmes. Il saurait, jusqu’à un certain point, à quoi s’en tenir, pensait-il, s’il la trouvait absente ou présente à la hutte vers laquelle il courait au galop. Il avait lu, il est vrai, dans quelque ballade ou conte de ménestrel, un singulier tour, joué à un vieillard jaloux, au moyen d’une communication souterraine entre sa maison et celle d’un voisin, communication dont la dame faisait usage pour se trouver dans les deux endroits alternativement, avec tant de promptitude et d’adresse, qu’après des épreuves répétées, le radoteur s’était abusé jusqu’à croire que sa femme et la dame qui lui ressemblait si bien, celle à qui le voisin faisait une cour si assidue, étaient deux personnes différentes. Mais, dans le cas présent, pareille supercherie n’était pas possible ; la distance était trop grande, et puis, comme il avait pris le chemin le plus court en venant du château et couru à franc étrier, sa cousine, qui était si timide, n’aurait jamais pu se décider à monter un cheval en pleine nuit, et être par conséquent revenue à la hutte avant lui.

Son père pouvait sans doute se fâcher d’une nouvelle visite ; mais pour quelle raison ?… Alice Lee n’était-elle pas sa plus proche parente, le plus cher objet de son cœur, et devait-il hésiter à faire un effort pour la sauver des conséquences d’une sotte et folle conspiration, parce que la mauvaise humeur du vieux chevalier pouvait se renouveler à la vue d’Éverard, qui se présenterait malgré ses ordres dans l’asile qu’il habitait alors ? Non. Il était décidé à endurer les reproches du vieillard, comme les bouffées du vent d’automne qui sifflait autour de lui et agitait les branches claquantes des arbres sous lesquels il passait, sans pouvoir, toutefois, arrêter ni même retarder sa course.