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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/167

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tefois, de tourner les yeux vers Alice, ni de détacher ses pensées du motif qui l’amenait. Alice semblait l’avoir aussitôt reconnu, car une rougeur plus vive que d’habitude colorait ses joues ; ses doigts tremblaient en tournant les feuillets du livre de prières, et sa voix, qui était avant aussi assurée que mélodieuse, faiblissait en récitant les réponses. Éverard crut s’apercevoir, aux regards qu’il lui lançait à la dérobée, que le caractère de sa beauté, ainsi que tout son extérieur, avaient changé avec sa fortune.

La belle et fière jeune dame portait alors les vêtements grossiers d’une simple fille de village. Mais ce qu’elle avait perdu en élégance, elle l’avait bien, il semblait, regagné en dignité. Les tresses de ses beaux cheveux d’un brun clair, tournées alors autour de sa tête, et frisées simplement comme il avait plu à la nature de les arranger, lui donnaient un air de simplicité qu’elle n’avait pas lorsque sa coiffure attestait l’adresse d’une habile femme de chambre. Son air joyeux, où se mêlait un peu de malignité, et qui semblait toujours épier l’occasion de rire, avait disparu devant une expression de tristesse, et à cette gaîté avait succédé une calme mélancolie qui semblait se consacrer à donner des consolations à d’autres. Peut-être la première expression de visage, cependant fort innocente, était-elle présente au souvenir de l’amant quand il pensait qu’Alice avait joué un rôle dans les troubles qui avaient eu lieu à la Loge. Il est certain qu’en la regardant alors, il fut honteux d’avoir conçu un tel soupçon, et il aima mieux croire que le diable avait imité sa voix que supposer qu’une créature si au dessus des choses de ce monde, et alliée de si près à la pureté de l’autre, eût pu avoir l’indélicatesse de prendre part à des manœuvres comme celles dont lui-même et d’autres avaient été victimes.

Ces réflexions se présentaient en foule à son esprit, malgré toute l’inconvenance qu’il y avait à s’en occuper dans un pareil moment. Le service allait finir ; et, à la vive surprise aussi bien qu’à la grande confusion du colonel Éverard, le prêtre, d’une voix ferme et intelligible, avec un ton de dignité plus majestueux, demanda au Tout-Puissant de bénir et de conserver le roi Charles, monarque légitime et incontestable de ce royaume. Cette prière, très dangereuse à cette époque, fut articulée d’une voix pleine, haute et distincte, comme si le prêtre eût voulu défier tous ceux qui l’écoutaient à le contredire s’ils l’osaient. Si l’officier républicain ne participa point à cette prière, il pensa du moins que ce n’était pas le moment de protester contre elle.