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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/333

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qu’en acceptant l’affection et la protection que je vous offre, vous ne violez aucune loi ni de vertu ni de morale. Les hommes destinés au trône sont privés de bien des douceurs de la vie ordinaire… de celle surtout qui est peut-être la plus chère et la plus précieuse, celle de pouvoir choisir une épouse pour la vie. Leurs cérémonieux mariages sont conclus d’après des principes d’utilité politique seulement, et les femmes auxquelles on les marie sont fréquemment, par leur caractère, leur extérieur et leurs goûts, tout-à-fait impropres à les rendre heureux. La société use donc envers nous de commisération, et charge nos mariages, involontaires et souvent malheureux, de chaînes plus légères et moins gênantes que celles qui lient les autres hommes, dont les nœuds d’hymen, comme plus librement formés, doivent, en proportion, être plus étroitement resserrés. Aussi, depuis le temps où le vieux Henri fit construire ce palais, prêtres et prélats, ainsi que nobles et hommes d’état, ont été habitués à voir une belle Rosemonde gouverner le cœur d’un monarque passionné, et le consoler du peu d’heures de contrainte et de pompe qu’il lui faut accorder à quelque morose et jalouse Eléonore. À de pareilles amours le monde n’attache aucun blâme ; on vient en foule à une fête pour admirer la beauté de l’aimable Esther, tandis que l’impérieuse Vasti reste reine dans la solitude. On assiège le palais pour implorer sa protection, car son influence dans l’état est mille fois plus grande que celle de la fière épouse ; ses enfants prennent rang parmi les nobles du pays, et justifient par leur courage, comme le célèbre Longue-Épée, comte de Salisbury[1], la naissance qu’ils doivent à la royauté et à l’amour. Ce sont les fruits de ces unions qui remplissent les rangs de la plus brillante noblesse, et la mère vit honorée et bénie dans la grandeur de sa postérité, comme elle est morte pleurée et regrettée dans les bras de l’amour et de l’amitié. — Est-ce ainsi que mourut Rosemonde, milord ? Nos traditions rapportent qu’elle fut empoisonnée par la reine offensée, empoisonnée sans qu’on lui laissât le temps de demander à Dieu pardon de ses nombreuses fautes. Sa mémoire vit-elle encore ? J’ai entendu dire que, quand l’évêque purifia l’église de God-Stowe, son tombeau fut ouvert, brisé par ses ordres, et ses os jetés sur une terre non sacrée. — C’était un vieux temps de grossièreté, douce Alice : les reines ne sont pas aujourd’hui si jalouses, ni les évêques si rigoureux. Et sachez en outre que, dans le pays où je conduirais la plus aimable de son sexe, fleurissent

  1. Frère naturel de Richard Cœur-de-Lion. a. m.