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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/102

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— Comme à l’ordinaire, répondit M. Campbell ; les sages achètent et vendent, les fous sont achetés et vendus.

— Mais les sages et les fous dînent les uns comme les autres, reprit notre joyeux hôtelier ; et voilà… voilà une pièce de bœuf, telle que moine affamé n’en attaqua jamais. »

À ces mots, il aiguisa lestement son couteau, se mit à la première place, selon sa coutume, et chargea les assiettes de ses hôtes de viandes succulentes.

C’était la première fois que j’entendais l’accent écossais, et même que je me trouvais en compagnie avec un individu de cette ancienne nation, qui, dès long-temps, avait occupé et intéressé mon imagination. Mon père, comme vous le savez, était d’une ancienne famille du Northumberland, et le manoir de nos ancêtres ne se trouvait qu’à quelques milles du lieu où je dînais. La haine qui séparait mon père et ses parents était si vive, qu’il parlait rarement de ses aïeux, et, à ses yeux, la plus absurde de toutes les vanités, était celle de tenir à la noblesse. Toute son ambition était qu’on citât William Osbaldistone comme le premier, ou du moins un des premiers négociants de Londres ; et quand on lui eût prouvé qu’il descendait en ligne directe de Guillaume-le-Conquérant, sa vanité en eût été moins flattée que d’entendre le bruit et l’agitation que son arrivée causait ordinairement parmi les taureaux, les ours[1] et les courtiers de Stock-Alley. Il souhaitait à coup sûr que je restasse dans l’ignorance de mon origine et de mes parents, pour qu’il n’y eût jamais entre nous divergence d’opinion à ce sujet. Mais ses desseins, comme il arrive souvent aux mieux combinés, furent contrariés jusqu’à un certain point par un être que son orgueil n’eût pu croire assez important pour influer sur ses projets. Sa nourrice, vieille femme du Northumberland, qui lui était attachée dès l’enfance, était la seule personne de son pays natal à laquelle il s’intéressât ; et quand la fortune l’eut favorisé, le premier usage qu’il fit de ses dons, fut de recueillir chez lui Mabel Bickets. Après la mort de ma mère, le soin d’élever mon enfance maladive, et de lui donner ces tendres attentions que l’on ne trouve que dans l’affection d’une femme, fut dévolu à la vieille Mabel. Comme son maître lui avait défendu de parler jamais des bruyères, des taillis et des vallons de son cher

  1. Mots d’argot de la Bourse, qui veulent dire les haussiers et les baissiers, ainsi que je l’ai expliqué avec détail au chap. III de mon Voyage à Londres, un volume in-8o ; Paris, 1835. a. m.