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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/178

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mien ? moi qui suis banni, je peux le dire, de la maison et du cœur de mon père.

— Oui, répondit Rashleigh ; mais considérez tous les avantages de l’indépendance que vous acquerrez par un sacrifice momentané, car je suis sûr que le terme en est prochain ; songez à l’avantage d’agir librement, de cultiver vos talents dans la carrière que vous préférez, et dans laquelle vous allez vous distinguer. Liberté et réputation ne sont pas payées trop cher par quelques semaines de résidence dans le nord, même quand le lieu d’exil est Osbaldistone-Hall. Nouvel Ovide dans la Thrace, vous n’avez pas sujet d’écrire des Tristes.

— Je ne sais, dis-je en rougissant avec la modestie d’un jeune écrivain, comment vous connaissez si bien mes goûts.

— Il y avait ici tout récemment un envoyé de votre père, un jeune fat, nommé Twineall, qui m’a appris que vous sacrifiez en secret aux Muses, ajoutant que quelques-uns de vos vers avaient été grandement admirés par les meilleurs juges. »

Tresham, je crois que vous n’avez point à vous reprocher d’avoir jamais essayé de coudre des rimes ; mais vous avez sûrement connu beaucoup d’apprentis d’Apollon. La vanité est leur faible, depuis celui qui décorait les ombrages de Twickenham jusqu’au plus misérable des écrivassiers qu’il frappa de son fouet dans la Dunciade. J’avais ma part de ce défaut commun, et sans réfléchir combien il était peu probable que ce jeune Twineall eût eu connaissance de quelques pièces de vers que j’avais glissées au café de Button, et qu’il pût rapporter l’opinion des critiques qui fréquentaient ce bureau d’esprit et de littérature, je mordis aussitôt à l’hameçon. Rashleigh s’en aperçut, et s’assura encore mieux l’avantage en me faisant, d’un ton d’intérêt, les plus vives instances pour que je lui montrasse quelques-unes de mes productions manuscrites.

« Vous me donnerez une soirée dans ma chambre, continua-t-il ; car je vais bientôt perdre les charmes de la société littéraire pour les travaux du commerce et les ennuyeuses distractions du monde. Je le répète, ma soumission aux désirs de mon père, pour l’avantage de ma famille, est un véritable sacrifice, eu égard surtout à la calme et paisible profession à laquelle me destinait mon éducation. »

J’étais vain, mais non insensé, et cette hypocrisie était trop forte pour m’échapper. « Vous ne me persuaderez pas, lui dis-je,