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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/186

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ou étouffer ces pénibles réflexions, je fis plus d’honneur que de coutume à la bouteille qui circulait autour de la table. Grâce à l’agitation que j’éprouvais, et à mes habitudes de tempérance, le vin produisit rapidement sur moi un effet puissant. Les buveurs de profession peuvent boire une grande quantité de vin ; cela ne fait que troubler leur jugement qui, morne à jeun, n’est jamais très-clair ; mais ceux qui n’ont point l’habitude de l’ivresse, en éprouvent bien plus vivement l’influence. Mon esprit s’échauffa, s’égara bientôt ; je parlais sans fin, je raisonnais de ce que je ne connaissais pas ; je commençais des histoires que je ne pouvais achever, puis je riais aux éclats de mon défaut de mémoire. J’acceptai tous les paris qu’on me proposa, sans le moindre discernement ; je défiai le géant John à la lutte, quoiqu’il eût tenu le dé à Hexham[1] pendant une année, et que je n’eusse jamais essayé une seule passe.

Mon oncle eut la bonté de s’interposer et d’empêcher l’exécution de ce défi qui, je pense, se serait terminé aux dépens de mon cou.

La malignité a même rapporté que j’avais chanté une chanson de table ; mais comme je ne m’en souviens nullement, et que je n’ai jamais essayé de former un son, avant ou depuis, je me flatte que c’est une calomnie toute gratuite. Je fis assez d’extravagances, sans qu’il y ait nécessité de les exagérer à ce point. Sans perdre entièrement mes sens, je perdis promptement tout pouvoir sur moi-même, et de violentes passions m’agitèrent à tel point que je ne pouvais les maîtriser. Je m’étais mis à table triste, mécontent, et disposé à garder le silence… le vin me rendit bavard, bruyant, querelleur. Je contredisais tout ce qu’on avançait, et j’attaquais, à la table de mon oncle et sans aucun égard pour lui, ses opinions politiques et religieuses. La modération affectée de Rashleigh, qu’il savait sans doute bien capable de m’irriter, m’échauffait encore plus que les cris et l’emportement de ses tapageurs de frères. Mon oncle, je dois lui rendre justice, s’efforça de rétablir le calme ; mais son autorité était méconnue dans le tumulte de l’ivresse et des passions. Enfin, furieux de quelque injure réelle ou supposée de Rashleigh, je lui donnai un soufflet. Le stoïcien le plus maître de ses passions n’eût pas reçu un pareil outrage avec un sang-froid plus méprisant. Ce qu’il n’éprouva point, ou ne daigna pas faire paraître, Thorncliff

  1. Ville du comté de Northumberland. a. m.