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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/219

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Toutefois, telle est la nature du cœur humain, que je crois que cette agitation de passions, qui par une multitude de circonstances pleines d’intérêt, quoique légères au fond, nous forçait à penser mutuellement l’un à l’autre, augmenta l’attachement que nous nous portions déjà. Mais, bien que ma vanité eût promptement découvert que ma présence à Osbaldistone-Hall avait donné à Diana quelque raison de plus pour ne pas aimer le cloître, je ne pouvais aucunement me fier à une affection qui semblait subordonnée aux mystères de sa singulière position. Miss Vernon avait un caractère trop ferme et trop résolu pour laisser l’amour l’emporter sur le devoir ou sur la prudence, et elle m’en donna la preuve dans un entretien qui eut lieu entre nous à cette époque.

Nous étions ensemble dans la bibliothèque. Miss Vernon, en feuilletant un Roland furieux qui m’appartenait, fit tomber une feuille de papier écrite. Je voulus la ramasser ; elle me prévint.

« Ce sont des vers, » dit-elle en y jetant un coup-d’œil ; puis déployant le papier sans attendre ma réponse, elle ajouta : « Puis-je me permettre… ? Oui, oui, puisque vous rougissez, que vous bégayez, je dois faire violence à votre modestie, et supposer que la permission est accordée.

— Cela ne mérite pas d’être lu… c’est une ébauche de traduction… Ma chère miss Vernon, vous serez un juge trop sévère, vous qui entendez si bien l’original.

— Mon cher ami, répondit Diana, si vous voulez me croire, ne faites pas tant de frais de modestie, car tout cela ne vous vaudra pas un seul compliment. Je suis, vous le savez, de la famille peu populaire des Francs-Parleurs, et je ne flatterais pas Apollon lui-même pour avoir sa lyre. »

Elle lut alors la première stance, conçue à peu près ainsi :

« Je chante les dames, les chevaliers, les armes, et les beaux feux d’amour, et les actes de bravoure et de courtoisie, au temps où les Maures vinrent de la brûlante Afrique, conduits par Agramant, leur jeune roi, dont la vengeance et la colère apportèrent à travers les vastes ondes le carnage et la guerre en France. Ces maux naquirent de la mort du vieux Trojano : Agramant vint des royaumes lointains pour la venger, menaçant le chrétien Charles, l’empereur romain. Mes chants parleront aussi de Roland l’indompté ; ils raconteront ce qu’on n’a dit ni en prose ni en vers, comment ce héros d’un si profond jugement perdit la raison par un amour malheureux[1]. »

  1. Ceci est une traduction du commencement de l’Orlando furioso de l’Arioste. a. m.