dront troubler d’honnêtes et paisibles gentilshommes qui boivent tranquillement la goutte auprès du feu ! »
Dans tout autre moment je me serais rappelé l’adage latin :
Mais ce n’était pas le moment de faire des citations classiques,
car il était évident qu’une querelle allait avoir lieu. Je ne la redoutais
pas pour moi-même, indigné comme je l’étais de l’insolence
et du manque d’hospitalité avec lequel on nous traitait, mais
j’en craignais les suites pour mon compagnon, dont les qualités
physiques et morales me semblaient peu propres à mettre à fin
une pareille aventure. Je me levai cependant en voyant les autres
le faire, et me débarrassai de mon manteau pour être plus prompt
à me mettre sur la défensive.
« Nous sommes trois contre trois, dit le moins grand des montagnards en jetant un coup d’œil sur nous ; si vous êtes de jolis garçons dégainez vos épées. » À ces mots il tira son sabre et s’avança sur moi. Je me mis en défense, et confiant dans la supériorité de mon arme, qui était une rapière ou petite épée, l’issue du combat me causa peu d’inquiétude. Le bailli agit avec une vigueur qui me surprit. En voyant s’avancer contre lui le gigantesque montagnard avec son arme nue, il fit quelques efforts pour tirer la poignée de son sabre, qu’il appelait sa shabble[2] ; mais voyant qu’il ne pouvait le retirer du fourreau, auquel il était attaché par la rouille, il saisit à la place un soc de charrue complètement rouge, dont on s’était servi pour tisonner le feu en guise de poker[3] ou pincettes, et le brandit avec tant de succès, qu’à la première passe il mit le feu au plaid de l’Écossais, ce qui le força de se tenir à une distance respectueuse jusqu’à ce qu’il eût pu l’éteindre. André au contraire, qui aurait dû faire face au champion des basses terres, avait trouvé moyen, je le dis à regret, de s’éclipser tout au beau commencement de la querelle. Mais son antagoniste s’étant écrié : « Partie égale, partie égale ! » se borna avec courtoisie à rester spectateur du combat. Mon but était de