Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satisfaite. Cependant elle ne paraissait ni cruelle ni sanguinaire ; et lorsque la première émotion que me causait cette entrevue fut dissipée, elle me rappela quelques portraits des héroïnes sacrées que j’avais vus dans les églises catholiques de France. Elle n’avait pas toute la beauté d’une Judith, ni l’air inspiré d’une Deborah, ni celui de la femme d’Héber le Cynéen, au pied de laquelle le puissant oppresseur d’Israël s’inclina et tomba mort[1] ; mais l’enthousiasme dont elle était agitée donnait à sa figure et à son port, qui avaient une sorte de dignité farouche, quelque ressemblance avec ces héroïnes de l’Écriture sainte : un artiste y eût puisé une heureuse inspiration.

J’éprouvais un grand embarras pour adresser la parole à cette femme extraordinaire ; mais M. Jarvie, rompant la glace par une toux préparatoire (car la rapidité avec laquelle on nous avait fait marcher l’avait mis encore une fois hors d’haleine), commença ainsi son discours : « Hem ! hem ! je m’estime très-heureux d’avoir cette agréable occasion (le tremblement de sa voix démentait l’emphase avec laquelle il s’efforçait de prononcer le mot agréable), cette agréable occasion de souhaiter le bonjour à la femme de mon cousin Robin. Hem ! hem ! comment vous portez-vous ? » ajouta-t-il en tâchant de prendre le ton de familiarité et d’importance qui lui était ordinaire ; « comment vous êtes-vous tous portés depuis que nous ne nous sommes vus ? Vous avez peut-être oublié votre cousin, mistress Mac-Gregor Campbell ! Hem ! hem ! mais vous vous rappelez du moins mon père, le digne diacre Nicol Jarvie, de Salt-Market à Glasgow. C’était un honnête homme, un homme sûr, un homme qui vous respectait beaucoup, vous et les vôtres. Ainsi donc, comme je le disais, je suis enchanté de vous voir, mistress Mac-Gregor Campbell ; et je vous demanderais la permission de vous embrasser comme ma cousine, si vos gens ne me tenaient les bras un peu trop serrés ; et puis, pour vous dire la vérité, comme un magistrat doit le faire, je crois qu’avant de dire bonjour à vos amis, il serait convenable que vous employassiez tant soit peu l’eau. »

La familiarité de ce discours n’était nullement en rapport avec l’état d’exaltation où se trouvait la personne à qui il était adressé ; car, échauffée par la victoire, elle allait prononcer des arrêts de mort.

  1. Allusion au meurtre de Sisara par Jaël. a. m.