Aller au contenu

Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous, qui vivons comme nos pères vivaient il y a mille ans, et ne possédons guère plus de lumières. Les édits sanguinaires qu’on a rendus contre nous ; les potences, les échafauds qu’on a dressés ; la manière dont on a proscrit un nom ancien et honorable : tout cela n’était-il pas fait pour provoquer notre ressentiment, et ne méritait-il pas de notre part des traitements pareils envers nos ennemis ? Moi, qui vous parle, j’ai assisté à vingt combats sans avoir de sang-froid porté la main sur personne : en bien, il y a des gens qui me trahiraient et me feraient pendre, s’ils le pouvaient, comme un chien enragé, à la porte du premier seigneur qui en aurait le désir. »

Je lui répondis qu’en effet la proscription de son nom et de sa famille paraissait, à nous autres Anglais, une mesure arbitraire et cruelle ; et voyant que ces paroles calmaient son irritation, je lui renouvelai mes offres de chercher à obtenir, pour lui et ses fils, de l’emploi au service étranger. Mac-Gregor me serra cordialement la main ; et, s’arrêtant un moment pour laisser à M. Jarvie le temps de nous précéder, manœuvre que le peu de largeur du chemin rendait d’autant plus facile, il me dit :

« Vous êtes un honorable et excellent jeune homme, et vous comprenez sans aucun doute ce qui est dû aux sentiments d’un homme d’honneur ; mais les bruyères que mes pieds ont foulées pendant toute ma vie doivent fleurir sur ma tête après ma mort. Mon âme se flétrirait, mon bras perdrait sa force et se dessécherait comme la fougère après une gelée, si je perdais de vue mes montagnes natives, et le monde entier ne pourrait m’offrir un lieu qui me consolât de la perte des cairns[1] et des rochers sauvages que vous voyez autour de nous. Que deviendrait Hélène si je la laissais exposée à de nouvelles insultes, à de nouvelles atrocités ? et comment pourrait-elle se résigner à s’éloigner de ces lieux où le souvenir des outrages qu’elle a soufferts est adouci par celui de la vengeance ? J’ai été une fois tellement serré de près par mon grand ennemi, car je peux bien lui donner ce nom, que, forcé pour le moment de céder au torrent, j’abandonnai, avec mes gens et ma famille, nos demeures natales, et me réfugiai pendant quelque temps dans le pays de Mac-Callum More. Ce fut alors qu’Hélène composa sur notre départ une complainte aussi touchante

  1. Cairns. Petits monticules coniques, formes de pierres amoncelées. Ce sont d’anciens monuments funèbres élevés successivement par les passants, chacun d’eux étant obligé d’y ajouter une pierre. a. m.