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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/75

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du plaisir raffiné, mais bizarre, de se faire raconter son histoire par ses secrétaires, étant ainsi l’auditeur aussi bien que le héros, et probablement l’auteur de l’ouvrage. Ce doit avoir été un fort beau spectacle que l’ex-ministre, roide dans sa fraise empesée et son justaucorps galonné, assis pompeusement sous un dais, écoutant le récit de ses historiographes, qui, debout et découverts devant lui, lui disaient gravement : « Ainsi parla le duc… Ainsi conclut le duc… Tel était le sentiment de Votre Seigneurie sur ce point… Tels étaient les secrets conseils qu’elle donnait au roi en cette autre occasion : » toutes choses bien mieux connues sans doute de leur auditeur que d’eux-mêmes, et dont la plupart n’avaient pu leur être transmises que par lui.

Ma position n’est pas aussi plaisante que celle du grand Sully, et cependant il y aurait quelque chose de bizarre à voir Frank Osbaldistone donner à William Tresham des détails minutieux sur sa naissance, sa famille et son éducation. Je lutterai donc, du mieux que je pourrai, avec l’esprit tentateur du clerc de notre paroisse, et je tâcherai de ne rien vous dire de ce qui vous est déjà connu. Cependant je dois vous rappeler certaines choses, parce que, bien que vous les ayez sues, le temps peut les avoir effacées de votre mémoire, et qu’elles sont le fond de ma destinée.

Vous devez vous rappeler mon père, car le vôtre étant son associé, vous l’avez connu dès votre enfance. Cependant vous l’avez à peine vu dans son bon temps, avant que l’âge et les infirmités eussent éteint cet esprit ardent qu’il portait dans ses spéculations et ses entreprises. Il eût été plus pauvre sans doute, mais non moins heureux, s’il eût consacré aux progrès des sciences ces facultés si énergiques, cette puissance d’observation, qui se développèrent dans le commerce. Dans les fluctuations des spéculations commerciales, il y a quelque chose qui captive les esprits hasardeux, indépendamment de l’espoir du gain. Celui qui s’embarque sur cette mer incertaine doit avoir l’adresse du pilote et le courage du navigateur ; et avec ces qualités même il pourra échouer ou se perdre si le souffle de la fortune ne lui est favorable. Cette alliance de prévoyances nécessaires et de hasards inévitables, la terrible incertitude si la prudence triomphera de la fortune, ou si la fortune renversera les projets de la prudence, donnent une occupation suffisante à l’énergie comme aux sentiments de l’homme, et le commerce a tout l’attrait du jeu sans en avoir l’immoralité.