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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/95

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ma bourse pouvait suffire aux besoins et aux désirs d’un voyageur. J’avais pris l’habitude, pendant mon séjour à Bordeaux, de me servir moi-même ; mon cheval était frais, jeune et vif. La légèreté de mon caractère eut bientôt dissipé les réflexions mélancoliques qui m’avaient assailli en partant.

Je regrettais pourtant de voyager sur une route qui offrait à l’étranger des curiosités peu nombreuses et un pays peu intéressant, car la route du nord était alors, et est encore aujourd’hui peut-être, absolument dépourvue de ce genre de beautés, et je ne crois pas qu’aucune autre partie de l’Angleterre offre un plus petit nombre d’objets dignes d’attirer l’attention. Malgré toute ma prétendue confiance, les idées qui se présentèrent à mon esprit n’étaient pas toujours des plus agréables. Ma muse aussi… cette coquette qui m’avait entraîné dans l’abîme… comme toutes les personnes de son sexe, m’abandonna dans mon extrême misère ; et je serais tombé bientôt dans un triste état d’ennui si je n’avais pas rencontré parfois des voyageurs dont la conversation, peu amusante en elle-même, me procurait du moins quelque distraction : des ministres de campagne revenant de faire une visite ; des fermiers, des marchands de bestiaux revenant d’une foire éloignée ; des commis-voyageurs parcourant les villes pour faire solder les créances du patron ; quelquefois un officier qui battait le pays pour trouver des recrues : tels étaient les gens qui mettaient en mouvement les préposés aux barrières et les garçons d’auberge. Notre conversation roulait sur les dîmes et les articles de foi, sur les bœufs et les grains, sur les denrées tant solides que liquides, sur la solvabilité des marchands en détail… variée de temps à autre par les récits d’un siège ou d’une bataille en Flandre, que peut-être le narrateur me donnait de seconde main. Les brigands, sujet vaste et terrible, remplissaient tous les vides ; et les noms du Fermier d’Or, de l’agile Voleur de grands chemins, de Jack Needham, et autres héros de l’opéra des Mendiants[1], étaient dans notre bouche comme des noms familiers. À ces récits, semblables aux enfants qui rétrécissent leur cercle quand l’histoire du revenant touche à sa fin, les voyageurs se rapprochaient, regardaient devant et derrière eux, examinaient l’amorce de leurs pistolets, et juraient de se défendre mutuellement en cas d’attaque : promesse qui, comme bien d’autres alliances offensives et défensives, est parfois oubliée à la moindre apparence d’un danger réel.

  1. Opéra de Gray. a. m.