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Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/114

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épousée. Comme il craignoit pour moi le séjour de Paris, il me promenoit incessamment par ses terres et ses gouvernements. Pendant les trois ou quatre premières années de notre mariage, je fis trois voyages en Alsace, autant en Bretagne, sans parler de plusieurs autres à Nevers, au Maine, à Bourbon, Sedan et ailleurs. N’ayant point de plus sensible joie à Paris que celle de le voir, il ne m’étoit pas si dur qu’il auroit été à une autre personne de mon âge d’être privée des plaisirs de la Cour. Peut-être ne me serois-je jamais lassée de cette vie vagabonde, s’il n’eût point trop abusé de ma complaisance. Il m’a plusieurs fois fait faire deux cents lieues étant grosse, et même fort près d’accoucher.

Mes parents et mes amis qui étoient sensibles pour moi aux dangers où il exposoit ma santé, me les représentoient quand je venois à Paris le plus fortement qu’il leur étoit possible ; mais ce fut longtemps inutilement. Qu’eussent-ils dit, s’ils eussent su que je ne pouvois parler à un domestique qu’il ne fût chassé le lendemain ? Que je ne recevois pas deux visites de suite d’un même homme, qu’on ne lui fit défendre la maison ? Que si je témoignois quelque inclination pour l’une de mes filles, plus que pour les autres, on me l’ôtoit aussitôt. Si je demandois mon carrosse, et qu’il ne jugeât pas à propos de me laisser sortir, il défendoit, en riant, qu’on y mît les chevaux, et plaisantoit avec moi sur cette défense, jusqu’à ce que l’heure d’aller où je voulois aller fût passée. Il aurait voulu que je n’eusse vu que lui seul dans le monde ; surtout il ne pouvoit souffrir que je visse ses parents, ni les miens. Les miens, parce qu’ils entroient alors dans