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Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/141

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Pour toute compagnie, j’avois une de mes filles nommée Nanon, qui n’étoit à moi que depuis six mois, habillée en homme comme moi ; un des gens de mon frère nommé Narcisse, que je ne connoissois guère, et un gentilhomme de M. de Rohan, nommé Courbeville, que je n’avois jamais vu. Mon frère ayant prié M. de Rohan de ne me point quitter que je ne fusse hors de la ville ; il me dit adieu à la porte Saint-Antoine, et je continuai ma route en carrosse à six chevaux, jusqu’à une maison de la princesse de Guimené sa mère, qui est à dix lieues de Paris. Je fis ensuite cinq ou six lieues en chaise roulante ; mais ces voitures n’allant point assez vite au gré de mes frayeurs, je montai à cheval, et j’arrivai le vendredi à midi à Bar. De là, me voyant hors de France, je me contentai d’aller coucher à Nancy. M. de Lorraine, ayant demandé à me voir, eut l’honnêteté de ne s’y pas obstiner quand il sut que j’y avois de la répugnance. Le résident de France près de lui fit des instances inutiles pour me faire arrêter, et, pour comble de générosité, il me donna vingt de ses gardes et un lieutenant pour m’accompagner jusqu’en Suisse.

Nous avions été presque partout reconnues pour femmes. Il échappoit toujours à Nanon de m’appeler : Madame ; et, soit pour cette raison, ou que mon visage donnât quelque soupçon de ce que j’étois, on nous observoit par le trou de la serrure après que nous étions enfermées, et on voyoit tomber nos longs cheveux que nous déployions d’abord que nous étions en liberté, parce qu’ils nous incommodoient beaucoup dans notre coiffure