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Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/143

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Suisse où il y avoit quelque garnison, nous faillîmes d’être tous assommés faute d’entendre la langue ; et pour comble de bonne fortune nous apprîmes, en arrivant à Altorf, qu’il falloit y faire quarantaine avant que d’entrer dans l’État de Milan. Ce fut alors que la patience commença à m’abandonner. Je me voyois dans un pays barbare, très-dangereusement malade, avec de grandes douleurs ; et pour du secours, vous jugerez par ce qui arriva à Narcisse si j’en pouvois trouver dans ce misérable lieu. Il demanda un chirurgien pour se faire tirer du sang, à cause de quelque mal qu’il avoit ; on lui amena un maréchal, qui, s’étant mis en devoir de le saigner avec une flammette, le manque, et Narcisse le menacant de le tuer, cet homme lui répondit toujours froidement, que ce n’étoit rien, et qu’il n’avait pas fâché l’artère. Mais ce qui acheva de me désespérer, fut que la division s’étoit mise entre mes gens. Narcisse ne pouvoit souffrir que Courbeville, qui ne me connoissoit que depuis huit jours, se mêlât de mes affaires sans en être prié ; par la même raison Nanon ne pouvant souffrir ni Narcisse ni Courbeville, elle prétendoit qu’ils ne devoient agir tous deux que par ses ordres : mais pendant que Narcisse et elle s’amusoient à quereller de cette sorte, ils ne me servoient guère bien, et ils ne s’y appliquoient presque plus que par boutade. Courbeville, au contraire, ne songeoit uniquement qu’à me soulager, je suis encore persuadée qu’il m’auroit fallu couper la jambe sans lui ; et comme le pitoyable état où j’étois me rendoit fort reconnoissante, la considération que je témoignois pour lui acheva