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Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/384

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Au sein de ses amis répandre mille choses,
Et recherchant de tout les effets et les causes,
À table, au bord d’un bois, le long d’un clair ruisseau,
Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau :
Pourvu que ce dernier se traite à la légère,
Et que la nymphe ou la bergère
N’occupe notre esprit et nos yeux qu’en passant.
Le chemin du cœur est glissant ;
Sage Saint-Évremond, le mieux est de m’en taire,
Et surtout n’être plus chroniqueur de Cythère,
Logeant dans mes vers les Chloris,
Quand on les chasse de Paris.
On va faire embarquer ces belles ;
Elles s’en vont peupler l’Amérique d’amours2 :
Que maint auteur puisse avec elles
Passer la ligne pour toujours !
Ce seroit un heureux passage.
Ah ! si tu les suivois, tourment qu’à mes vieux jours
L’hiver de nos climats promet pour apanage !
Triste fils de Saturne, hôte obstiné du lieu,
Rhumatisme va-t’en. Suis-je ton héritage ?
Suis-je un prélat ? Crois-moi, consens à notre adieu :
Déloge enfin, ou dis que tu veux être cause
Que mes vers, comme toi, deviennent mal plaisants.
S’il ne tient qu’à ce point, bientôt l’effort des ans,
Fera sans ton secours cette métamorphose ;
De bonne heure il faudra s’y résoudre sans toi.
Sage Saint-Évremond, vous vous moquez de moi :



2. Dans le temps où La Fontaine écrivit cette lettre, on fit enlever, à Paris, un grand nombre de courtisanes qu’on embarqua pour l’Amérique. Mme de Maintenon ne pensoit pas que nous lui aurions, un jour, l’obligation de Manon Lescaut.