Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/403

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les Romains sont plus redevables de la beauté de leurs sentiments, qu’à leur esprit et à leur vertu, Corneille, devient un homme commun, lorsqu’il s’exprime pour lui-même. Il ose tout penser pour un Grec ou pour un Romain ; un François ou un Espagnol diminue sa confiance ; et quand il parle pour lui-même, elle se trouve tout à fait ruinée. Il prête à ses vieux héros tout ce qu’il a de noble dans l’imagination ; et vous diriez qu’il se défend l’usage de son propre bien, comme s’il n’étoit pas digne de s’en servir. »

Les ouvrages de Saint-Évremond ont donc été, dans l’ancienne société françoise, comme le Manuel de l’homme du monde. Aujourd’hui même, ce Manuel n’est pas suranné, parce que la nature ne l’est jamais, et que d’ailleurs le grand art d’écrire a dans Saint-Évremond un interprète admirable. Il possède le don heureux de la composition et du langage élégant : ce soin assidu, cette coquetterie de la forme, qui sans être la condition du succès, y conduit presque toujours, et assure au livre le suffrage de la postérité. Le naturel simple n’est pas, si l’on veut, la qualité dominante de son style ; c’est le naturel orné. La grâce y est constante : quelquefois négligée, toujours piquante et délicate ; de la finesse, en toute occasion, souvent de la profondeur, beaucoup d’esprit, mais aussi, parfois, quelque reste des manières de Voiture, avec le désir de produire un effet. Cependant, l’auteur n’absorbe jamais l’homme lui-même. L’homme de sens, l’homme de raison, l’homme d’esprit, respire à toutes les pages de ses œuvres. Mais cet homme qui ne vouloit écouter que la nature, dans son vivre, court volontiers après