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Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/12

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XIV
NICOLAS MACHIAVEL.

Ce n’était là, cependant, pour l’auteur du Prince, que le prélude d’événements plus graves. Le 21 janvier 1513, le pape Jules étant mort, on assembla le conclave pour lui donner un successeur. Le cardinal Jean de Médicis, qui fut depuis Léon X, devait, pour se rendre à ce conclave, traverser le territoire toscan, lorsqu’on découvrit une conspiration qui avait pour but de l’assassiner en route. Impliqué à tort ou à raison dans ce complot, ─ c’est un point qui n’est pas suffisamment éclairci, — Machiavel fut arrêté et mis à la torture, sans qu’il eût été possible de lui arracher aucun aveu.

Dans l’espoir d’adoucir son sort, le prisonnier adressa une supplique à Julien de Médicis qui gouvernait Florence. Les Médicis aimaient les vers ; Machiavel fait des vers. En homme habile il ne parle pas du passé qui pourrait le compromettre ; il ne parle que du présent qui peut attendrir en sa faveur. Ce n’est point l’ami de Soderini, le secrétaire du gouvernement déchu qui se met en scène : c’est le poëte captif qui présente un sonnet.

« Julien, j’ai autour des jambes une paire de chaînes avec six tours de corde sur les épaules. Je ne veux pas compter mes autres misères, puisqu’on traite ainsi les poëtes. Ces murailles sont tapissées de vermine, et d’une vermine si bien nourrie qu’on dirait une nuée de papillons. Jamais il n’y eut à Roncevaux, ni dans les forêts de la Sardaigne une infection pareille à celle de l’agréable réduit que j’habite. Le bruit est si grand qu’il semble que Jupiter et Mont-Gibel foudroient la terre ; on enchaîne celui-ci, on déferre celui-là ; c’est un fracas continuel de coins et de clous rivés. Un autre crie qu’il est attaché trop loin de la terre. Ce qui m’a fait le plus de mal, c’est qu’en dormant aux approches de l’aurore, j’entendis qu’on disait en chantant : On prie pour vous. Qu’ils aillent au diable, pourvu que votre compassion se tourne vers moi, père bienfaisant, et me délivre de ces fers indignes. »

Cette première requête étant restée sans réponse, Machiavel ne tarda point à en adresser une seconde :

« Cette nuit je priais les Muses d’aller avec leurs lyres et leurs chants visiter Votre Magnificence pour me consoler et lui offrir ma justification. L’une d’elles m’apparut et me confondit en disant : Qui es-tu, toi qui oses me parler ainsi ? J’articulai mon nom ; alors, pour m’outrager, elle me frappa le visage et me ferma la bouche