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Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/271

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commença à devenir suspect à ses collègues : Credebant enim haud gratuitam in tanta superbia comitatem fore. Mais incertains de pouvoir lui résister ouvertement, ils résolurent d’employer l’artifice, et quoiqu’il fût le plus jeune de tous, ils lui donnèrent le pouvoir de proposer au peuple les décemvirs futurs. Ils croyaient que se conformant à la conduite des autres, il ne se proposerait point lui-même ; démarche inusitée jusqu’à cette époque dans Rome, et qu’on y regardait comme une ignominie : Ille vero impedimentum pro occasione arripuit. Il se nomma le premier, au grand mécontentement de toute la noblesse, étonnée de son audace, et désigna ensuite ceux qu’il voulut pour collègues.

Cette nouvelle nomination, faite pour une autre année encore, commença à dessiller les yeux de la noblesse et du peuple ; car aussitôt Appius (finem fecit ferendæ alienæ personæ) ne cacha plus son orgueil, et inspira bientôt aux autres décemvirs les sentiments qui l’animaient. Pour exciter plus d’épouvante parmi le peuple et le sénat, au lieu de douze licteurs, ils en prirent cent vingt. Les craintes furent générales pendant quelques jours. Ils commencèrent bientôt à tenir le sénat en alarmes et à opprimer le peuple ; et si un citoyen maltraité par l’un d’entre eux en appelait aux autres, il encourait dans son appel une sentence plus rigoureuse encore que dans le premier jugement. Le peuple alors, reconnaissant sa faute, commença, dans son désespoir, à tourner ses regards vers les nobles : et inde libertatis captare auram, unde servitutem timendo, in eum statum rempublicam adduxerant. La noblesse jouissait de sa douleur, ut ipsi, tædio præsentium, consules desiderarent.

L’année venait de finir ; les deux nouvelles tables des lois étaient terminées, mais non publiées. Les décemvirs saisirent ce prétexte pour se maintenir dans leur charge ; ils retinrent le gouvernement par la violence,