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Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/291

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Pour citer à cet égard un exemple particulier, je dis que, parmi les considérations qui doivent fixer la pensée du fondateur d’un État, une des plus importantes est de savoir dans quelles mains il dépose le droit de punir de mort les citoyens. Les institutions romaines étaient admirables sur ce point : ordinairement on pouvait en appeler au peuple ; mais s’il arrivait une circonstance impérieuse où il fût dangereux d’accueillir l’appel et de surseoir à l’exécution, on nommait soudain un dictateur, qui faisait exécuter sur-le-champ la sentence ; remède auquel les Romains n’eurent jamais recours que dans une nécessité pressante.

Mais à Florence, et dans les autres villes d’une origine semblable, et habituées comme elle à la servitude, ce pouvoir terrible était confié à un étranger commis par l’État pour remplir cet office. Quand par la suite ces villes eurent conquis leur indépendance, elles continuèrent à confier ce droit à un étranger, auquel on donnait le titre de capitaine. Cet emploi présentait les plus grands dangers, par la facilité qu’avaient les citoyens puissants de corrompre celui qui le remplissait. Mais le temps ayant amené de nombreuses modifications dans le gouvernement de l’État, on établit huit citoyens pour remplir les fonctions du capitaine. Ce changement ne fit que rendre cette institution plus mauvaise encore, de mauvaise qu’elle était déjà, par la raison que nous avons déjà dite, que le petit nombre est toujours l’instrument du petit nombre et des citoyens puissants.

Venise a su se préserver de ce danger : elle a établi le conseil des Dix, qui peut sans appel punir tous les citoyens. Comme son autorité pourrait être trop faible contre des hommes puissants, quoiqu’il ait cependant le pouvoir de les punir, on a établi les quaranties ; et l’on a voulu de plus que le conseil des pregadi, qui est le sénat, eût le droit de punir les coupables ; de sorte que comme les accusateurs ne manquent pas, il se trouve