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Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/498

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par la longueur du temps, cela deviendrait impossible par l’impatience naturelle qui dirige la conduite des hommes, et qui ne leur permit pas d’attendre pour assouvir leurs désirs. L’homme est sujet à se tromper dans ce qui touche ses intérêts, surtout dans ce qu’il désire avec le plus d’ardeur : par impatience ou par aveuglement, il tente une entreprise à contre-temps, et y trouve sa perte.

Si l’on veut donc usurper le pouvoir dans une république et y établir de mauvaises institutions, il faut trouver cette république dépravée par le temps, et amenée au désordre peu à peu, et de génération en génération : c’est le terme fatal où la conduit la nécessité, à moins que, comme nous l’avons déjà dit, elle ne soit souvent rajeunie par des exemples de vertu, ou ramenée par de nouvelles lois à ses premiers principes.

Manlius aurait donc été un homme rare et illustre s’il était né dans une ville corrompue. Ainsi les citoyens qui, dans une république, forment quelque entreprise, soit en faveur de la liberté, soit en faveur de la tyrannie, doivent bien examiner le sujet sur lequel ils ont à opérer, et juger par cet examen des difficultés que présente leur entreprise. Il n’est ni moins difficile ni moins périlleux de vouloir briser le joug d’un peuple qui prétend vivre esclave, que de vouloir asservir un peuple qui prétend vivre libre.

Comme j’ai avancé que les hommes doivent considérer la nature des temps, et y conformer leur conduite, je m’étendrai sur cette matière dans le chapitre suivant.