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Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/36

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raient être une préparation à entrer dans son royaume[1]. » C’est l’intention, non l’acte, qu’elle veut que l’on considère. Aussi n’est-elle point d’avis qu’on pousse aucune observance à l’extrême rigueur. Le monde ayant vieilli, les règles ont été atténuées pour les hommes : à plus forte raison, doivent-elles être adoucies à l’égard des femmes, pour qui elles n’ont pas été faites. Les travaux manuels, par exemple, ne sont-ils pas en désaccord avec la faiblesse de leur sexe ? En un mot, l’idéal qu’Héloïse se fait de la vie religieuse est à la fois élevé et doux. Des vœux modestes, la volonté de s’y tenir, et, s’il se peut, d’y ajouter sans cesse par une progression réfléchie d’humilité, de sagesse, d’obéissance, par-dessus tout, l’accomplissement des préceptes de l’Évangile : voilà les bases du Règlement qu’elle propose[2]. Elle le résume, avec une précision heureuse, en ces termes : « Quiconque ajoutera la continence aux vertus de l’Évangile réalisera la perfection monastique. Plût à Dieu que notre profession nous élevât seulement jusqu’à la hauteur de l’Évangile ! gardons-nous de prétendre la dépasser : n’ayons pas l’ambition d’être plus que chrétiennes[3]. »

À ces observations judicieuses, Abélard a reconnu l’esprit de sa doctrine. Il y répond en les fortifiant de nouveaux arguments empreints d’un esprit large et généreux. En principe, il n’admet aucune infériorité de sexe au désavantage des femmes, et il fait remonter à Jésus-Christ l’institution des congrégations de religieuses. N’hésitant même pas à aller rechercher jusque chez les vierges du paganisme l’exemple anticipé des vertus chrétiennes[4], il en tire la preuve de l’égalité fondamentale des deux sexes. Toutefois, ce n’est point une raison, à son sens, pour imposer aux femmes les mêmes devoirs qu’aux hommes. Il veut que l’on mesure le fardeau aux forces, à la condition que, pour tout le monde, l’effort soit en proportion des moyens. La continence, la pauvreté, le silence, sont les trois règles de profession monacale qu’il établit comme les obligations communes à l’un et à l’autre sexe. Mais pour l’un comme pour l’autre, il ne demande que l’utile et le possible. Ni superflu, ni privations ; point de travaux excessifs, point d’oisiveté énervante ; le corps allègre, l’âme saine, le cœur pur et haut ; car Dieu regarde plutôt

  1. Lettres, VI, § 9, p. 158, cf. ii, p. 98.
  2. Id., ibid., § 7, p.152.
  3. Id., VI, § 6, p.150.
  4. Id., VII, § 9, p.226, etc.