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Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/30

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grives, il est vrai… et sa création, but éminemment prophylactique sinon charitable, est un pas vers le progrès.

Je m’arrêtai, interdit.

Sur des bancs, pâles, bien sages, des malades attendaient. Quoi ? la guérison ? un docteur… Instinctivement, je reculais. Je les voyais. Je ne me voyais pas. La gorge serrée, je me laissais choir sur une chaise. Petit à petit, je repris mes esprits. Ma lucidité revenait. Un couple de jeunes mariés, gentils, livides, résignés, étroitement serrés, voisinait. Ils étaient tristes, si tristes que j’aurais voulu leur sourire, les rassurer, leur dire que tout cela, leur maladie, la mienne, c’était des mauvais rêves, un affreux cauchemar et que nous allions nous réveiller, renaître au soleil, à la vie.

— Rosmor, appela une infirmière en ouvrant une porte.

— Tu n’as pas toutes les déveines. Un tour de faveur, plaisanta l’économe.

L’infirmière, grave sous ses voiles blancs, me désigna un siège. Elle se mit à me questionner. Son interrogatoire était tellement serré, tellement indiscret, avec ses curiosités pathologiques que j’étais sur des charbons ardents. Après avoir remonté assez loin dans ma généalogie pour rechercher les héritages ataviques, elle redescendait, fouillant mon individualité. Je trouvais sa curiosité purement indécente. Et je suis sûr que la mâtine riait sous cape.

— Est-ce qu’on vit vieux, dans votre famille ?

— Je crois bien.

— Pas de tuberculeux ?

Je me rebiffais, offusqué, effrayé aussi.

— Pas que je sache.

— Votre grand-père ? Côté maternel.

— Un colosse. Mort en pleine santé, au beau milieu d’un repas de noces, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. C’était