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Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/70

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Mais il ne précise pas. Maintenant j’ai peur qu’il précise et je n’insiste pas.

— Après tout, fis-je, il me reste mon revolver.

Je ne mens pas. À la hauteur de ma ceinture je sens le dur contact d’une crosse. Suis-je lâche ? ou aimé-je trop la vie ?…

Dans la nuit idyllique où tinte l’Angelus, des feux de Saint-Jean rougeoient. Autour des brasiers, sous la nuit limpide, il y a des rires, de la gaîté et de la jeunesse. Des rondes batifolent sur les gazons frais que mouille une tendre rosée. Sous les haies d’aubépine, dans l’ombre indécise des talus, des amoureux se lutinent et se barbouillent de myrtilles. Les pastoureaux gambadent, pieds nus entre le double cercle des femmes en prières. Moi aussi, je voudrais prier… À l’écart de cette scène biblique, je savoure ma détresse et, dans le ciel bleu plein d’étoiles et de songes, avec une ferveur éperdue s’élève la muette prière de ma douleur… Mon Dieu, sauvez-moi ! Saint Michel, ô doux saint qui veille du haut du mont séculaire, saint Michel, patron des bergers et des pillawers, toi qui sais guérir et consoler, viens à mon secours ! Pieds nus, je fais vœu d’aller à ton sanctuaire comme jadis allaient les pèlerins ! Que ta bonté pour moi, appelle la miséricorde divine !

Depuis quelque temps, mes anciens amis de sanatorium me laissent sans nouvelles. Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre nostalgique. Des morts ! des morts !

Mort, le vieux facteur Hily qui aimait le vin et détestait les curés ! Mort le grand Perel, rouge d’idées et de trogne ! Morts Pffik et Julot, les candides jouvenceaux aux aspirations d’éphèbes. Mourant mon ami Jean Kereg, l’impétueux paysan aux élans de poète…

Désolé, j’ai déchiré entre deux soupirs, l’inexorable message de la fatalité. Eux aussi avaient espéré, avaient confiance… Quelques-uns pourtant parmi nos camarades