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Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/94

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— Mais loin de cet hôpital, infâme personnage. J’en ai assez d’une observation aussi sévère. Depuis un mois, une fois de la teinture d’iode sur le dos. Une autre fois sur le ventre. Avec ça on peut affronter l’évolution, s’il y en avait ! Alors, au large !

— Ben mon colon ! a fait le titi ahuri, t’aimes les solutions rapides.

Je me suis gardé d’ajouter que la vue de Mlle de Kergar a été pour quelque chose dans ce départ que je précipite. Sur ces entrefaites, le médecin-chef arrive et l’infirmière-major lui a notifié mon intention.

— Vous voulez partir ? Pourquoi ?

— Parce que je retourne en Bretagne.

Le docteur veut m’effrayer.

— Vous avez tort car si vous rechutez à Paris, je ne vous reprendrais pas ici. Je ne signe pas votre feuille de départ.

Qu’est-ce que ça peut me faire, qu’il ne signe pas ma feuille de départ ! J’ai une folle envie de lui crier joyeusement : Ta gueule ! Mais je me contente de répondre poliment :

— Je vous remercie beaucoup, docteur, mais il y a de grandes chances que je ne revienne pas crever ici.

Bien entendu, le médecin-chef me signa ma feuille.

J’ai fait le tour de la salle, serrant des mains, prodiguant les encouragements et des bons souhaits. Je sens dans les regards une secrète envie. Un peu de patience, votre tour viendra, et ce sera l’envol vers l’azur et la lumière, pauvres oiseaux blessés qui rêvez de soleil et d’espaces inviolés !

Mes talons sonnent sur le carrelage. Les yeux bleus de Dimitri qui fut officier noble dans la vieille Russie, m’arrêtent un instant. Il n’a plus de mère. Il n’a plus de patrie.

— Un peu moins de bruit, a exigé l’infirmière-major.