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Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/220

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n’est pas grotesque, mais pas du tout. En revanche, il est ridicule.

C’est que le rire est une joie malicieuse qui s’éveille en nous au spectacle des petits malheurs d’autrui. C’est un mouvement égoïste et vaniteux causé par la vue des mécomptes dont nous sommes ou croyons être exempts nous-mêmes. On ne rit pas des gros accidents, de la mort, des blessures, de la misère en haillons, des désastres qui nous rappellent notre condition mortelle et la dépendance où le sort nous tient tous ; mais on rit aux éclats chaque fois qu’on signale un contraste entre les ambitions du prochain et ses succès, entre sa vanité et son mérite, entre son but et son point d’arrivée.

Rien n’est plus réjouissant, au 15 août, que le mât de cocagne, parce qu’on y voit jusqu’à vingt-cinq ou trente polissons s’élancer l’un après l’autre à la poursuite d’un couvert d’argent, et retomber sur le derrière. Le système représentatif a planté sur le sol français une véritable forêt de mâts de cocagne ; aussi chaque élection a-t-elle le piquant d’une comédie : on rit de ceux qui tombent, fussent-ils cent fois plus honorables et plus dignes que ceux qui arrivent. Ah ! tant pis : le rire est impartial, toute déception l’éveille, qu’elle soit ou non méritée. Y a-t-il un contraste évident entre ce que vous désirez et ce qui vous arrive, on rira.