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Page:About - Le Fellah, souvenirs d'Egypte, 1883.djvu/27

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LE FELLAH

fants sous prétexte d’utilité publique. Pour défendre la patrie, qui la plupart du temps n’est pas en danger, on saisit un jeune paysan français, tout mouillé des larmes de sa mère, et on l’expédie au bout du monde, en Russie, en Amérique, au Japon…

— C’est le service militaire, ce n’est pas la corvée.

— En effet, si vous entendez par corvée la confiscation de la personne humaine au profit des travaux de la paix, les prestations en nature qu’on impose au fellah français sont une corvée moins dure que la nôtre ; mais la condition des deux pays est aussi bien différente. Ce n’est pas l’empereur qui fait tomber la pluie sur vos terres, c’est le vent d’ouest, et le service qu’il vous rend n’exige pas de main-d’œuvre. En Égypte, où l’eau du ciel descend à peine trois fois par an, c’est le prince qui fait la pluie en distribuant l’eau du Nil dans les canaux d’irrigation ; il ne le peut qu’à force de bras : il faut donc, dans l’intérêt général, que tous les bras soient à ses ordres. S’il en abuse, tant pis pour le peuple et pour lui. Je ne dis pas que la perfection réside dans le pouvoir personnel, mais je m’incline avec respect devant l’autorité de mon seigneur. M’appartient-il de lui reprocher l’usage ou l’abus qu’il a fait de mes biens et de ma personne ? Je n’avais rien, je n’étais rien ; à seize ans, je passais la moitié de ma vie à puiser l’eau dans un canal et à la verser dans une rigole. Un jour le vice-roi, que Dieu garde ! ordonne à ses préfets de requérir vingt quatre jeunes gens pour leur apprendre la civilisation européenne. Le moudir de Minieh, qui est le nôtre, jeta les yeux sur le canton que j’habitais. Nous étions quelques-uns qui savions lire et écrire. On s’adressa d’abord