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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/183

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et extraordinaires — des journaux phalanstériens. Il écrivit pour la Démocratie pacifique d’assez nombreux articles de critique et même de politique spéculative, nommément une page à la Montesquieu sur la Justice et le Droit. Il publia dans la Phalange ses premiers beaux poèmes : la Robe du Centaure, Hylas, Niobé, Hypatie, la Vénus de Milo.

À l’approche de la trentième année, une transformation complète s’opère chez Leconte de Lisle. L’inspiration grecque, qu’il a méconnue d’abord, pénètre, emplit, illumine son esprit. Le génie hellénique lui révèle son propre génie. Il a la vision de son œuvre future ; il ordonne ses idées jusqu’alors confuses, il maîtrise sa forme jusqu’alors rebelle. Dans la conception et dans l’expression, il marque sa personnalité souveraine et harmonique.

Les Grecs n’ont pas seulement créé les plus beaux monuments de l’art et de la pensée, l’Iliade et le Parthénon, l’Orestie et l’Œdipe-Roi, le Phédon et la Naissance d’Athéna ; ils ont aussi créé cette chose inconnue avant eux et oubliée après eux pendant douze ou quinze siècles : la liberté. Leconte de Lisle était trop pénétré de l’esprit grec pour ne point avoir des sentiments démocratiques. Républicain de la veille, il était naturel qu’il saluât dans la révolution de Février le triomphe de ses propres idées. La reforme qui lui tenait le plus au cœur était l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Dès 1846, il avait plaidé la cause des noirs à la Démocratie pacifique. Peu de jours après la Révolution, il convoqua chez lui une vingtaine de créoles et leur tint à peu près ce langage : il serait noble et généreux d’adresser au gouvernement une pétition en faveur des nègres. Je sais bien que cette réforme pourra causer