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Page:Académie française - Recueil des discours, 1890-1899, 2e partie, 1900.djvu/204

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Et dans vingt autres pièces de M. Leconte de Lisle, ni vous ni moi, Monsieur, ne serions embarrassés de retrouver la même idée. Il n’y en a pas de moins romantique, s’il n’y en a pas de plus classique, ou de plus grecque ; — et c’est justement où j’en voulais venir.

À Dieu ne plaise que je méconnaisse le service que le romantisme a rendu jadis à nos lettres françaises en leur ouvrant du côté du Nord des horizons ignorés et, si j’en éprouvais la regrettable tentation, le poète de l’Épée d’Angantyr et du Cœur de Hialmar m’avertirait de n’y point céder ! Je lui ferais tort d’une moitié de son œuvre. J’oublierais que, si la splendeur des étés des tropiques rayonne, pour ainsi dire, de quelques-uns de ses vers, il a su, dans quelques autres, qui ont le dur et froid éclat de la glace, trouver le secret de condenser toute la tristesse des brumes du pôle. Mais pour admirer les Nibelungen ou l’Edda scandinave, il n’a pas pensé qu’il fût nécessaire de leur sacrifier l’Iliade ou le Ramayana. En s’inspirant à des sources nouvelles, il ne s’est pas détourné pour cela des anciennes. Au contraire, il en a résolument appelé de la condamnation que le romantisme avait prononcée contre la tradition gréco-latine. Homère et Hésiode, Pindare. Eschyle et Sophocle, Euripide. Lucrèce, Virgile, Horace, il les a lus et relus ; il les a aimés ; il les a imités ; il les a même traduits. Et je ne répondrais pas qu’il en ait toujours ressaisi le vrai caractère, mais en les remettant en honneur, il nous a comme rattachés à nos vraies origines. La chaîne, un moment brisée ou interrompue, s’est renouée. Nous avons vu clair dans notre propre génie. Et nous n’avons pas renoncé aux acquisitions dont le romantisme avait fait pour notre poésie